Avant-propos
Comme vous le savez certainement, le bonheur est l’un des concepts qui ont été les plus commentés par les penseurs et les philosophes, et ce, depuis la plus haute Antiquité. De nombreux livres, traités et essais lui ont été consacrés au cours des siècles, les uns pour dire qu’il est (quasiment) inaccessible, les autres pour nous encourager à le rechercher, et même à le vivre. Quoi qu’il en soit, c’est un sujet, pour ne pas dire une préoccupation, qui interpelle et a toujours interpellé les êtres humains. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que tout individu, à moins de souffrir d’un désordre mental ou d’une déficience psychologique, aspire à être heureux.
Si certains philosophes considèrent que le bonheur est une vue de l’esprit et qu’il est inaccessible, la plupart des politiciens le promettent aux citoyens à travers leurs discours et en font un argument électoral. On ne peut le leur reprocher, car on attend d’eux qu’ils améliorent les conditions de vie de la population et fassent en sorte qu’elle soit aussi heureuse que possible sur les plans économique, social et matériel. C’est là une entreprise d’autant plus difficile qu’ils sont très divisés sur la manière d’y parvenir et qu’il n’y a pas de “solution miracle” en la matière. Et jusqu’à présent, nous constatons malheureusement qu’aucun gouvernement, toutes tendances confondues, n’a réussi à la mener à bien.
Les religions, à leur manière, s’emploient également à rendre leurs fi dèles heureux et à les guider sur la voie du bonheur. À cet effet, elles entretiennent leur foi à travers un credo qui repose généralement sur la vie et l’oeuvre d’un prophète ou d’un messie, tel que Moïse, Jésus, Bouddha et Mahomet, pour ne citer que les plus connus. Mais là aussi, un constat s’impose : des millions de croyants à travers le monde sont malheureux, pas nécessairement sur le plan matériel, mais sur le plan intérieur. La religiosité n’est donc pas un gage de bonheur, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle n’a pas son utilité, ne serait-ce que pour ceux qui s’y adonnent.
Dans son aspect le plus humaniste, la science contribue aussi au bien-être de l’humanité. Sans elle, nous en serions encore à un mode de vie relativement primitif. Elle nous a permis également de mieux comprendre l’univers et le milieu dans lequel nous évoluons : la Terre. Mais elle a tendance à être matérialiste et à réduire l’être humain à un corps physique doté d’une conscience purement cérébrale, ce qui limite nécessairement son approche du bonheur. Par extension, elle tend à vouloir rendre les hommes heureux malgré eux et à se substituer à leur libre arbitre, avec tout ce que cela comporte comme dérives.
Comme la plupart des Rosicruciens, je pense que le bonheur est accessible, mais qu’il est avant tout un état de conscience et que c’est d’abord en soi qu’il faut le rechercher. Il s’agit donc d’une quête essentiellement intérieure. Si je précise «essentiellement», c’est parce qu’il est impossible d’être heureux si l’on ne bénéficie pas d’un minimum de confort matériel, tout du moins dans les sociétés modernes. Or, il y a de nos jours des centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui, à travers le monde, n’ont pas ce minimum, sans parler de ceux qui vivent dans le plus grand dénuement. Nous ne pouvons que compatir à leur situation et souhaiter qu’elle évolue positivement.
Je suis conscient que cet opuscule vient s’ajouter à tout ce qui a déjà été écrit sur le bonheur et ne peut rien apporter de vraiment nouveau, d’autant qu’il est très loin d’être exhaustif. Mais comme c’est le cas de tous ceux qui ont été publiés dans cette collection, il est volontairement concis et dépourvu d’intellectualisme, afin d’aller à ce qui me semble le plus important. Par ailleurs, les idées exprimées reflètent nécessairement la philosophie rosicrucienne, qui est mienne depuis de nombreuses années. Aussi, j’espère que sa lecture suscitera en vous des réflexions qui s’ajouteront à celles que vous avez déjà nourries sur ce sujet.
Avec mes meilleures pensées.
Serge Toussaint
Grand Maître de l’A.M.O.R.C.
LE BONHEUR
Depuis que l’homme est apparu sur Terre, il a éprouvé le besoin d’améliorer ses conditions de vie. Durant des millénaires, la plus grande partie de son temps et de son énergie fut consacrée à chercher sa nourriture, à se protéger des prédateurs, à trouver un abri pour sa famille ou son clan et, d’une manière générale, à assurer sa survie. La découverte du feu révolutionna son existence, car elle lui permit de s’éclairer la nuit, de se réchauffer lorsqu’il avait froid, et de faire fuir les prédateurs. Autrement dit, elle lui procura un confort matériel très appréciable. Mieux encore : le regard perdu dans les flammes, il s’éveilla à la méditation et commença, sans le savoir vraiment, à fouler le sentier du «connais-toi toi-même». Dès lors, on peut dire qu’il quitta définitivement le statut d’animal pour accéder à celui d’être humain.
Par la suite, l’humanité naissante se développa graduellement en se diversifiant et poursuivit son évolution, tant au niveau physique que mental. Cela dit, depuis l’australopithèque, notre ancêtre le plus lointain (apparu il y a environ trois millions d’années), jusqu’à l’homo sapiens sapiens, espèce à laquelle nous appartenons, on note que l’être humain s’est toujours employé à rechercher un plus grand bien-être. C’est d’ailleurs cette recherche qui est à l’origine de ce que l’on appelle communément le «progrès». On peut donc supposer qu’il a été “programmé” pour améliorer constamment sa vie et la rendre aussi conforme que possible à ses espérances du moment. Vu sous cet angle, le bonheur s’apparente à un désir psychologique qui transcende l’instinct de survie, lequel est plutôt de nature physiologique.
Le bien-être matériel
Quelles sont les espérances que de nombreuses personnes nourrissent en relation avec leur bien-être matériel ? Tout d’abord, il y a le désir d’avoir un logement. C’est une nécessité pour tout individu vivant en société, car il est impossible d’être heureux si, comme on le dit familièrement, «on n’a pas de toit» sous lequel se loger correctement, soi même et sa famille. Cela n’est pas spécifique aux êtres humains ; les animaux eux-mêmes font de la recherche d’un abri une priorité, cet abri devenant en quelque sorte une extension d’eux-mêmes.
Hélas, vous savez comme moi qu’un grand nombre d’êtres humains, sur tous les continents, n’ont pas de logement ou sont logés dans de mauvaises conditions. Il est difficile de comprendre comment une telle chose est encore possible à notre époque, alors qu’il faut peu de temps, sur le plan technique, pour construire une maison ou faire en sorte qu’une habitation soit convenable. Dans la plupart des pays modernes, cela s’explique par le coût de construction et le manque de moyens d’une partie de la population. Toujour est-il qu’il y a aujourd’hui encore beaucoup de personnes mal logées ou, pire encore, “à la rue”. Dans ces conditions, comment pourraient- elles être heureuses ?
Avoir un logement, sans nécessairement en être le propriétaire (accéder à la propriété n’est pas un but en soi), est donc une condition au bonheur. En effet, on ne peut nier que se sentir bien dans son habitation est un facteur de contentement. Avoir la possibilité, à l’issue d’une journée de travail ou d’activité souvent fatigante et stressante, de rentrer chez soi et de se détendre, permet de se reposer et de mieux supporter les vicissitudes de l’existence. C’est un besoin pour l’équilibre physique et mental de tout individu, enfant comme adulte. Le «foyer», comme on le dit couramment, est aussi le lieu d’ancrage pour la famille et constitue pour elle un repère affectif important, pour ne pas dire primordial.
Lorsqu’elle est unie par l’affection, la famille en tant que telle est également une source de bonheur : pouvoir échanger avec ses parents, ses frères et soeurs, ses enfants et même au-delà, savoir que l’on peut compter les uns sur les autres, réaliser des projets en commun, célébrer ensemble des anniversaires et des fêtes, etc., sont autant de choses qui procurent du réconfort, du plaisir et de la joie. Nous devons profiter pleinement de tous ces moments privilégiés, car une vie passe très vite, et il faut faire en sorte qu’elle soit autant que possible jalonnée de beaux souvenirs. Chaque instant vécu avec ceux qui nous sont chers est un baume pour le coeur et une bénédiction pour l’âme.
L’argent
Il est courant de dire que «l’argent ne fait pas le bonheur». C’est là une évidence. Cela étant, il faut reconnaître qu’il y contribue grandement. Grâce à lui, nous pouvons nous procurer ce dont nous avons besoin sur le plan matériel, mener à bien des projets divers, nous offrir des plaisirs et des distractions qui concourent à notre bien-être, mais également participer à la vie économique et sociale de la collectivité. Manquer de moyens financiers, comme c’est le cas de très nombreuses personnes, est à la fois une cause de privation et de frustration qui, bien souvent, les rend malheureuses.
Il est vrai que l’argent a pris beaucoup trop d’importance et qu’on lui sacrifie les valeurs éthiques les plus élémentaires. Mais il n’est pas négatif en lui-même. Tout dépend de la manière dont il est obtenu et de l’usage que l’on en fait. Il est une énergie parmi d’autres et permet, à ceux qui en disposent, de se procurer du bonheur et d’en procurer aux autres, notamment à travers cette belle vertu qu’est la générosité. En effet, chacun sait que l’on peut faire très plaisir à quelqu’un en lui donnant de l’argent ou en lui offrant un cadeau que l’argent a permis d’acheter. Il y a naturellement d’autres façons de se montrer généreux : donner de son temps, rendre service, être présent dans les moments difficiles, etc.
Une dernière remarque à propos de l’argent : si la richesse ne rend pas nécessairement heureux, il est difficile de l’être quand on est pauvre. La plupart de ceux qui le sont survivent davantage qu’ils ne vivent, car leur (pré)occupation première est de satisfaire leurs besoins vitaux : trouver de l’eau potable, de la nourriture, du bois pour se chauffer ou autre. J’ajouterai que la pauvreté n’est pas une fatalité. Que ce soit dans les pays dits développés, sous-développés ou en voie de développement, elle pourrait être considérablement réduite si les hommes étaient plus solidaires et plus généreux les uns envers les autres. C’est donc à eux de rendre le monde meilleur et de faire en sorte qu’autant d’individus que possible soient heureux.
Naturellement, il y a des peuplades, des tribus et des communautés qui sont heureuses sans avoir le confort matériel dont j’ai parlé précédemment. Elles auraient bien tort de renoncer à leur mode de vie et d’adopter celui qui prévaut dans les sociétés modernes. Cela étant, l’écart est devenu tellement grand entre leur manière de vivre et la nôtre qu’elles ne peuvent (plus) nous servir de modèle économique et social. Cela nécessiterait un retour en arrière qui semble impossible : plus d’avions, de voitures, de téléphone, d’internet, d’argent, de salaire… En revanche, on pourrait s’inspirer des relations que ces mêmes peuplades, tribus et communautés entretiennent généralement avec la nature.
La santé
Une autre condition au bonheur de chacun est la santé. En effet, lorsqu’elle est bonne, elle est un facteur de bien-être et permet de jouir des plaisirs les plus anodins de la vie. Mais lorsqu’elle est mauvaise, elle est une source d’inquiétude, d’angoisse et de stress. Dans cet ordre d’idée, vous conviendrez que le fait de souffrir empêche d’être serein et constitue un obstacle au bonheur. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de maladies graves où la douleur physique est durable et lancinante. Nous savons tous que la santé est un bien précieux, mais en prenons-nous suffisamment soin lorsque nous avons la chance d’en bénéficier ? La réponse est «non» pour un grand nombre de personnes.
Les progrès considérables réalisés dans les domaines de la médecine et de la chirurgie ont indéniablement contribué au mieux-être des malades, des accidentés, des handicapés et autres personnes en souffrance physique ou mentale. Désormais, nous sommes capables de soigner et de guérir de nombreux troubles physiologiques et psychologiques, mais également d’atténuer, et même de neutraliser, la douleur. C’est là un progrès très appréciable, tant la souffrance peut être insupportable. Sans aller jusqu’à dire que la science fait le bonheur des êtres humains, il faut reconnaître qu’elle contribue à leur bien-être, et ce, malgré les dérives auxquelles elle se livre dans divers domaines, je pense notamment à la dangerosité avérée de certains médicaments et vaccins, dont les effets secondaires désastreux génèrent des pathologies parfois irréversibles.
Indépendamment des maladies plus ou moins graves dont nous pouvons souffrir à un moment ou à un autre de notre existence, nous vieillissons tous et nous rapprochons inéluctablement de cette échéance ultime que l’on appelle «la mort». Or, l’aspiration au bonheur n’a pas d’âge, de sorte que les personnes dites âgées espèrent tout autant être heureuses que les jeunes. L’idéal pour elles est de vivre leur vieillesse dans leur habitation, où elles ont leurs habitudes et leurs occupations, ou chez des proches, où elles bénéficient de leur affection. Mais beaucoup finissent leur vie dans une maison de retraite, un hospice, voire à l’hôpital. C’est pourquoi il faudrait faire en sorte que ces lieux réunissent toutes les conditions pour qu’elles y soient aussi heureuses que possible.
Le travail
Pour rester dans les évidences, exercer un métier ou avoir un travail participe également au bonheur. En effet, l’être humain a besoin d’être actif, de créer et de se sentir utile. C’est pour cette raison que la grande majorité des chômeurs sont malheureux et atteints dans leur dignité. L’idéal est naturellement d’exercer une profession qui plaît et qui soit correctement rémunérée, ce qui, hélas, n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, travailler ne devrait pas uniquement avoir pour but de “gagner sa vie”, d’autant que vivre n’a rien d’un jeu. Cela devrait permettre également à chacun de s’épanouir, au sens d’exprimer ses dons, ses talents, ses connaissances, ses savoir-faire… Lorsque tel est le cas, le travail est une source de bien-être et rend heureux.
Chez de nombreuses personnes, la profession qu’elles exercent représente une partie importante de leur vie. Si elles ne l’aiment vraiment pas, le temps qu’elles doivent lui consacrer leur paraît pénible, au point, parfois, d’en être malheureuses et déprimées. Si on le peut, il faut alors rechercher un métier qui convient mieux et qui permet de s’épanouir davantage. Sinon, il faut s’efforcer de faire correctement le travail demandé, en ayant à l’esprit qu’il permet de percevoir un salaire grâce auquel il est possible d’avoir une vie privée heureuse. Cela suppose de faire la part des choses et de puiser au plus profond de soi la volonté de se transcender.
Au risque de vous étonner, je pense que l’être humain est perfectionniste par nature. Autrement dit, il est enclin à faire au mieux ce qu’il entreprend, et ce, dans quelque domaine que ce soit : manuel, intellectuel, artistique, sportif, etc. C’est ce qui explique pourquoi nous éprouvons du plaisir, de la joie et de la satisfaction lorsque nous avons réalisé quelque chose de beau, de bien ou d’utile. Vous noterez également que ce sentiment est d’autant plus intense que ce que nous avons réalisé a nécessité d’effort et d’application. À l’inverse, la facilité ne procure que très rarement du plaisir.
Avoir une passion, un idéal
Avoir une passion procure également du bonheur : pratiquer un sport ou s’y intéresser, faire du jardinage, bricoler, dessiner, jouer d’un instrument de musique, se promener
régulièrement dans la nature…, sont autant d’occupations qui permettent de se distraire, se divertir, s’épanouir, se réaliser. Les goûts en la matière sont très variés, et ce qui intéresse les uns peut sembler inintéressant, voire absurde, aux autres. Il faut alors se rappeler que «tous les goûts sont dans la nature (humaine)» et faire preuve d’ouverture d’esprit, et par là même de tolérance. Dès lors que l’occupation concernée ne porte préjudice à quiconque, n’affecte pas la société et n’a aucune incidence négative sur l’environnement, on devrait se réjouir qu’elle rende heureux ceux et celles qui s’y adonnent.
De même, il est important d’avoir un idéal. Qu’il soit politique, religieux, philosophique ou autre, cela permet de donner un sens à notre existence, d’exprimer nos croyances, nos opinions et nos convictions, mais aussi de nous projeter dans l’avenir et de nourrir des espérances. Cela étant, ce n’est pas parce que l’on est idéaliste que l’on détient la vérité et que l’on a raison dans sa manière de penser. Il faut donc prendre garde à ne pas se comporter en idéologue, c’est-à-dire comme quelqu’un qui a tendance à imposer ses idées de façon péremptoire, et à se montrer sectaire vis-à-vis de ceux qui ne les partagent pas. Pour éviter cet écueil, le mieux est de cultiver l’ouverture d’esprit… et l’esprit d’ouverture. C’est là une preuve d’intelligence et un gage de respect mutuel.
Extrait de : « A propos du bonheur » de Serge Toussaint, édition Diffusion rosicrucienne.