Qu’est-ce que la vie, tout bien considéré ? Qu’est-ce que le réel, et lesquelles de nos pensées expriment la réalité ? Nos pensées passent constamment par un processus d’alchimie mentale. Nos expériences se transmutent sans cesse d’anciennes idées en nouveaux concepts. Mais qu’est-ce qui vraiment nous guide dans la vie : les croyances anciennes, les idées traditionnelles, ou les conclusions nouvelles auxquelles nous arrivons personnellement ? En dernière analyse, notre perspective de la vie, ce que nous en attendons, est une interprétation personnelle. Si nous essayons de ne pas éviter les questions embarrassantes que pose la vie, nous aurons de meilleures chances de nous créer une existence heureuse. Comment devons-nous aborder les mystères de l’être et ses rapports avec tout le reste à quoi il se trouve confronté ?
Ce que nous croyons est un facteur de motivation aussi important, au cours de notre vie, que ce que nous savons. En fait, beaucoup de pensées qui nous servent à façonner notre vie sont abstraites. Elles sont ce que nous croyons, mais dont nous n’avons pas encore, ni ne pourrons peut-être jamais avoir l’expérience. Les chapitres suivants présentent des idées qui, sous une forme ou une autre, ont finalement retenu de quelque façon l’attention de presque tout le monde. Le lecteur peut ne pas accepter leur présentation, mais nous espérons qu’elle le poussera à réfléchir sérieusement aux prétendus “mystères de la vie”. N’accepter que les explications traditionnelles limite souvent la pensée et engendre de fausses conceptions, conduisant aux pièges de l’erreur et à leurs conséquences funestes.
Mais la confiance que nous avons en nos croyances est-elle toujours justifiée ? Recourons-nous aux croyances en remplacement de la connaissance ? C’est à nous de réfléchir, surtout à l’époque d’aujourd’hui , à la nature de la croyance. Nous devons apprendre tout ce qui peut distinguer les croyances des points de connaissance. Pourquoi disons-nous, par exemple : «Je crois à la vie après la mort», au lieu de déclarer : «Je la connais» ? En fait, pourquoi affirmons-nous croire à quelque chose, plutôt qu’en avoir connaissance ?
La croyance est une admission de connaissance. La connaissance, contrairement à la croyance, est une expérience. La connaissance est perçue de façon empirique, c’est-à-dire objective. Si, par exemple, nous entendons un crépitement sur le carreau de la fenêtre, nous pouvons dire : «Je crois qu’il pleut». Nous disons le «croire», parce que nous n’avons pas perçu directement la pluie. L’expérience antérieure nous a appris que le bruit que nous entendons pourrait provenir d’autres sources, c’est pourquoi nous disons croire.Nous admettons ainsi une connaissance.
Allons-nous donc présumer que la connaissance se limite à ce qu’éprouvent nos sens récepteurs ? Supposons que nous ayons un problème. Il comporte plusieurs éléments. Les éléments de ce problème sont des faits. Nous en avons fait l’expérience. Nous les appelons donc des points de connaissance. Nous devons cependant les ordonner de façon utile et satisfaisante. Nous tournons et retournons ces idées mentalement pour chercher une solution. Pour cela nous exerçons notre raison. Finalement, nous arrivons à une solution. Le problème semble résolu ; aussi nous apparaît-il évident en soi. Nous n’avons plus de doute à son sujet.
Mais pouvons-nous appeler connaissance la solution à laquelle nous arrivons ? Ou les conclusions de notre raisonnement ne sont-elles pas les mêmes que notre expérience objective ? Nous sommes arrivés à mentionner comme nos croyances une vaste majorité de nos pensées nées de notre raisonnement. Ceci, parce que nous avons pris conscience que nos jugements personnels sont de nature subjective, contrairement à l’expérience. En d’autres termes, nous sommes arrivés à établir une distinction entre les idées que nous nous formons, d’une part, et notre connaissance perceptive, résultant de nos sens, d’autre part. Les idées de raisonnement font naturellement partie de notre connaissance. De telles idées existent dans la conscience, mais elles n’ont aucune contrepartie, rien qui les représente exactement, en dehors de notre conscience. La connaissance perceptive, cependant, est ce que chacun de nous peut percevoir par les sens, c’est-à-dire voir, entendre, toucher, goûter ou sentir. C’est quelque chose qui peut être perçu immédiatement, sans l’aide du raisonnement.
Usons d’une analogie pour mieux comprendre. Pendant longtemps, les gens ont pensé qu’un objet lourd tombait plus vite qu’un objet léger. Ils étaient persuadés qu’une pierre tombait plus vite qu’une plume. Ils acceptèrent cette idée comme une connaissance. Il fallut Galilée pour démontrer que les objets tombent de la même manière quand ils ne sont pas freinés par l’air ; en réalité, une plume et un grain de plomb tomberont dans le vide de façon semblable. La démonstration de Galilée constitua une connaissance «perceptive». C’était un simple fait d’observation courante, facile à prouver à tout le monde.
Je pense qu’il est admis que la valeur de la connaissance vient de ce qu’elle peut se transmettre. Nous voulons dire ainsi qu’elle peut se transmettre par la parole, par l’écriture ou par les gestes, à la conscience des autres. Quelque chose connue de chacun séparément et de façon différente n’aurait certainement aucune universalité. Une telle connaissance ne serait pas bonne pour tous. Cependant, une idée peut être valable et nous pouvons la comprendre parfaitement, tout en ne pouvant pas la communiquer de façon compréhensible.
L’imagination et le raisonnement des individus varient. Une idée à laquelle arrive quelqu’un peut n’avoir absolument aucun sens pour le mental d’un autre ; elle peut n’être pas du tout une connaissance pour les autres. Par conséquent, nos idées, pour devenir une connaissance qui sera universellement admise, doivent être objectivées. Elles doivent recevoir une existence en dehors du mental. Nous devons pouvoir créer des conditions et des choses que les sens récepteurs des autres puissent percevoir individuellement.
Revenons à l’analogie de Galilée : il n’aurait jamais pu faire accepter à tout le monde sa connaissance de la chute des objets, si elle était restée pour lui une idée. Ses explications et ses exposés n’auraient jamais permis d’ôter aux gens leur fausse idée commune sur la chute des objets. Il lui fallut donc la leur démontrer. Il dut procéder à des expériences qu’ils purent observer. Ils en eurent donc une intime connaissance perceptive. Elle fut alors admise comme objective, en dehors de tout raisonnement ou processus subjectif de Galilée.
Ceci veut-il dire que nous devions nous fier entièrement à ce que nous percevons de manière objective ? Nous avons tous appris par expérience que nos sens peuvent nous tromper. Ce qui, un jour, nous a paru une réalité, a pu parfois nous apparaître faux ultérieurement. Comment apprenons-nous qu’une expérience sensorielle est fausse ? C’est seulement par une autre expérience ultérieure, qui nous paraît alors une réalité plus solide que la précédente.
Il y a une autre raison très vitale pour laquelle toute connaissance que nous concevons doit finalement se transformer en ce que les sens peuvent discerner. Nous vivons dans un univers physique. Nous existons, en fait, dans un océan d’énergie et de masse de matière. Nous ne pouvons nier l’existence de cet univers physique, car notre organisme physique en fait partie. Nous sommes obligés de nous relier à lui, c’est-à-dire de nous adapter aux influences qu’il a sur nous. En fait, c’est pourquoi nous avons développé cinq sens récepteurs. Ces cinq sens nous sont nécessaires pour déterminer dans notre milieu ce dont nous avons besoin.
Mais, pensons-nous peut-être : et nos impressions psychiques ou ce que nous appelons les impressions intuitives et spirituelles ? Les impressions psychiques, en tant qu’impressions et sentiments ressentis intérieurement, peuvent s’avérer être une expérience tout aussi nette que celle procurée par tout ce que nous percevons extérieurement. Il est certain que le sentiment du mystique de son union avec l’Absolu a pour lui une réalité. L’union avec Dieu du religieux est une expérience aussi forte pour lui que tout ce qu’il perçoit de manière objective. Mais pouvons-nous nous fier à de telles expériences ? Pouvons-nous les appeler une connaissance équivalant à notre expérience objective ?
Il existe un test pour savoir si notre interprétation est juste. Il nous permet de déterminer si une expérience psychique a la substance d’une connaissance. Ce test est simplement le suivant : l’expérience peut-elle devenir pragmatique ? Pouvons-nous la ramener à une application pratique dans notre vie ? Pouvons-nous transformer notre expérience intérieure en quelque condition de nature objective ? Mais ceci ne veut pas dire qu’il faut ramener l’expérience à une chose matérielle comme un objet. Car elle doit produire des effets secondaires tels, que d’autres personnes pourront les percevoir et en prendre connaissance.
Prenons par exemple la vie de quelques grands fondateurs de religions, comme Zoroastre, Moïse, Bouddha, Christ et Mahomet. Ils eurent d’intenses expériences psychiques et émotionnelles. Pour eux, l’expérience contenait un bien positif. Mais ces expériences psychiques et émotionnelles étaient-elles une réelle connaissance ayant une valeur morale conduisant au bien qu’ils avaient ressenti, ou n’étaient-elles qu’une croyance ? Il leur a d’abord fallu la transformer en code moral qu’ils ont dû diffuser en enseignement que d’autres personnes ont pu percevoir de façon visuelle et auditive. Si finalement ce code a produit chez elles, après l’avoir lu ou entendu, le même sentiment spirituel que les fondateurs avaient eu à l’origine, il devint alors une vraie connaissance.
On a souvent déclaré qu’une expérience vécue sur un plan de conscience est impossible à prouver sur un autre plan. Mais une telle déclaration est une vraisemblance, une demi-vérité. Il est vrai, naturellement, que nous ne pouvons pas nous emparer d’une émotion, pour la voir, par exemple, au microscope. Nous ne pouvons pas non plus peser un sentiment sur une balance. Néanmoins, en saisissant personnellement l’expérience d’un plan de conscience, il serait possible de la transformer sur un autre plan. Une fois transformée, l’expérience serait aussi vivante sur ce plan particulier de conscience et aussi réaliste que sur la plan d’origine.
Un plan de conscience doit pouvoir établir, au-dessus ou au-dessous de lui, un symbole qui puisse être conçu nettement dans un sens analogue. Nous ne pouvons pas, par exemple transmettre à d’autres notre propre idée subjective de beauté. Il nous est impossible de leur exprimer en mots notre sentiment particulier de beauté pour leur faire prendre exactement conscience de la même sensation. Mais nous pouvons créer un symbole matériel qui leur représentera de façon adéquate notre idée de beauté. Ce symbole, perçu objectivement sous une forme visuelle ou auditive, éveillera leur sens esthétique.
Pour mieux comprendre cette transformation de l’expérience, comparons à une note de musique l’expérience d’un plan de conscience. Chaque note de musique, nous le savons, possède ses harmoniques sur une octave supérieure ou inférieure. De même, chaque expérience de notre être psychique peut se manifester sur un plan supérieur ou inférieur de conscience. La forme sous laquelle elle se manifeste peut, cependant, être très différente. Nous ne pouvons attendre des phénomènes psychiques qu’ils aient le même caractère que les phénomènes objectifs. Mais nous pouvons ramener l’expérience psychique à quelque comportement ou condition qui la symbolisera objectivement. Pensez, par exemple, à ce que vous percevez dans votre monde d’événements quotidiens, et qui suscite en vous des sentiments comme l’amour, la compassion, le respect et l’humilité. Ils résultent d’une transformation de votre expérience sensorielle – de ce que vous avez pu voir ou entendre – en émotions et en sentiments consécutifs plus élevés.
Nous avons dit que nos croyances sont comme des admissions de connaissance. Elles ne sont pas une vraie connaissance tant que nous ne pouvons pas les objectiver. Devons-nous rejeter toutes les croyances que nous ne pouvons pas rendre objectives ? Ou y a-t-il un certain type de croyance que nous devons toujours retenir ? Toutes les croyances qui avancent, c’est-à-dire expriment une probabilité, doivent être admises. Une croyance probable est une conclusion que suggère la connaissance par expérience. Pour nous exprimer autrement, une croyance probable est une supposition rationnelle comblant une lacune entre des points réels de connaissance.
Par analogie, nous savons que diverses îles et surfaces de terrain sombrent dans la mer à la suite de profondes perturbations souterraines. Ce phénomène est continuellement perçu dans le monde entier. Par conséquent, il constitue un point de connaissance. De ce point de connaissance s’ensuit la croyance probable que ce processus de submersion a existé depuis des millions d’années. La probabilité se poursuit par le fait que ceci a causé l’anéantissement des cultures. Par une autre analogie, la science démontre que la matière et l’énergie ne se perdent jamais, mais passent plutôt par une transformation. Ainsi, alors, croire que la personnalité humaine ou le moi ne disparaît pas quand quelqu’un meurt, c’est croire en une probabilité.
De telles croyances probables devraient simplement combler temporairement nos lacunes d’expériences réelles. Elles devraient servir seulement à nous suggérer une ligne d’orientation vers d’autres recherches. Nous ne devrions jamais les accepter comme une finalité. Le philosophe anglais John Locke nous a mis en garde contre notre habitude de nous reposer sur des croyances probables. Il a déclaré : «Quand les hommes eurent trouvé certaines propositions générales, qui ne pouvaient être mises en doute aussitôt comprises, il leur fut facile de conclure rapidement qu’elles étaient innées. Ceci, une fois admis, soulagea les paresseux de la peine de chercher…» Il ne faut jamais confondre une croyance probable avec une superstition. Une probabilité, bien qu’elle puisse ensuite se révéler une erreur, se déduit toujours rationnellement de ce qui est connu.
Mais, peut-on demander, qu’en est-il des croyances abstraites ? Les croyances abstraites incluent des conceptions comme celles du vrai, du bien, du mal et de la liberté. Par exemple, nos idées sur la nature de l’être, et sur la question de savoir si l’univers est fini ou infini, sont abstraites. Nos croyances abstraites sont pour nous une connaissance personnelle. Comme idées, elles peuvent donc avoir autant de force que tout ce dont nous avons jamais fait l’expérience objective. Mais ces croyances abstraites nous sont entièrement personnelles. Elles n’ont aucune contrepartie hors de notre propre mental. En d’autres termes, nous n’en avons jamais fait l’expérience physique. De plus, de telles croyances abstraites sont très souvent impossibles à démontrer ou à prouver aux autres. Par exemple, nous pouvons démontrer une chose que tous les hommes accepteront pour vraie. Nous ne pouvons cependant pas en démontrer la vérité en elle-même, sous sa forme pure, car la vérité est une simple idée abstraite. C’est une valeur subjective de la conscience de chaque être. La vérité diffère avec le raisonnement de chaque individu.
Ces croyances abstraites naissent sans cesse dans notre conscience. Elles sont produites par l’intelligence et la raison actives et normales. Bien qu’elles ne puissent être converties en une connaissance que tous les hommes accepteront universellement, il ne faut pas les rejeter. Etant abstraites, elles ne peuvent pas plus être réfutées que prouvées.
Nos croyances abstraites englobent un monde mental d’une grande réalité. Nous vivons dans ce monde de croyances abstraites autant que dans celui que nous brossent nos sens. Le monde que nous voyons, entendons, touchons, etc., nous laisse inexpliquées quantité de choses. Ce que nous voyons ou entendons peut être assez concret. Nous pouvons en reconnaître les qualités physiques. Mais quelle est sa valeur réelle pour nous humains ? Nous n’entendons pas sa valeur au sens matériel, mais plutôt comment chaque expérience objective peut nous donner plus de réalité, c’està- dire comment elle peut nous faire prendre conscience plus profondément de notre être.
La seule expérience individuelle que nous avons de ce monde ne satisfait pas notre aspiration d’appartenir à quelque chose de plus grand que cette vie. Rien en ce monde ne suggère l’idée de perfection que nous avons. La perfection est une idée abstraite, qui nous permet de mesurer la valeur que le monde a pour nous. Nos expériences objectives ont une double fonction. Elles agissent autant sur notre être psychique qu’elles nous font bien connaître la réalité extérieure. Ces expériences éveillent une série de valeurs intérieures, dont la perfection. Ce sont elles qui expliquent la plupart de nos croyances abstraites. Elle finissent par former la structure de notre monde psychique individuel. Bien que de telles croyances restent sans fondement ni signification pour les autres, chacun de nous lesconnaît personnellement.
Ralph M. Lewis, Extrait du livre « Alchimie mentale », édition DRC