« Depuis que l’homme est apparu sur cette Terre, l’angoisse qu’il ressentait en face des phénomènes universels, alors qu’il était confronté à la maladie, à la mort, aux souffrances et aux incertitudes diverses, l’a conduit à rechercher des moyens de maîtriser l’univers qui l’entourait et à découvrir des instruments lui permettant de prédire l’avenir.
Pour cela il utilisa tous les objets qui se présentaient à lui, comme l’observation des nuages dans le ciel, la lecture des entrailles de poulets, l’utilisation des ossements ou des runes. Avant de devenir une science, l’investigation des phénomènes naturels se contenta de se nommer « magie ». Dans le domaine de la magie se rangent des disciplines aussi diverses que l’astrologie ou l’alchimie… Aujourd’hui, nous classons ces techniques dans le domaine pré-scientifique et tout semble dit, d’autant qu’à ce domaine vient se greffer une foule de superstitions qui jettent le discrédit sur lui.
N’y a-t-il pourtant rien à retirer de ces instruments de connaissance que l’on a appelées les «sciences maudites» ? De nos jours, la science officielle considère ces techniques au mieux comme ses mères archaïques plus ou moins légitimes, au pire comme un foyer d’obscurantisme et d’irrationalisme. A l’aube du troisième millénaire, ces disciplines sentent le soufre et méritent, croit-on, le qualificatif de « maudites ». Pourtant, à y regarder de plus près, le jugement à porter est bien moins sévère que cela.
Disons-le tout de suite, l’utilité des « sciences maudites » ne réside pas tant dans leur efficacité à prédire l’avenir ou à transmuter la matière, mais bien plutôt dans la conception du monde qu’elles véhiculent et dans l’œuvre qu’elles cherchent à favoriser. Philon d’Alexandrie, philosophe de l’Antiquité, rappelle par exemple «qu’avant d’être une pratique divinatoire, l’astrologie traduisait une métaphysique du monde».
Principe d’unité
Il existe donc, sous-jacentes à ces disciplines, un certain nombre de lois fondamentales. La première de ces lois repose sur la notion de l’unité des phénomènes. Cela signifie que tant du point de vue de l’astrologie que de celui de l’alchimie, l’univers est le produit d’une grande intelligence ou cause première, d’où émane tout d’abord une unique force, ou énergie primordiale. C’est cette force ou énergie primordiale qui donne naissance à la matière, puis aux êtres vivants. C’est elle également qui préside aux développements de l’univers. En réalité, tous les êtres représentent les produits des divers aspects de cette énergie primordiale. L’épanouissement de cette force est régi selon les lois secondaires des cycles et de l’harmonie. Les galaxies tournent sur elles-mêmes, les planètes tournent autour des étoiles, les électrons tournent autour du noyau des atomes… Tout tourne et tout vibre, en dissonance ou en consonance.

Qu’elle s’exprime par l’alchimie ou l’astrologie, la Tradition explique également que cette force se manifeste selon un clavier de douze grands principes ou modes de développement de la force. Ces douze principes ont pris la forme des signes astrologiques, des phases de l’œuvre alchimique, des douze degrés d’étude de la voie rosicrucienne et des douze lois majeures de la connaissance ou de la gnose des Rose-Croix. D’une autre façon, dans la mythologie grecque, les douze travaux d’Hercule peuvent être interprétés comme la manifestation du travail de l’âme dans chaque signe. Les travaux d’Hercule auraient d’ailleurs été calqués sur l’épopée de Gilgamesh, un héros antérieur de la Mésopotamie.
À ces douze s’ajoutent les sept métaux, les sept planètes des Anciens qui apparaissent dans le monde visible, les sept vertus ou caractères de l’homme, ou encore, comme l’enseigne la voie rosicrucienne, les sept centres psychiques de l’être humain. En fait, lors de l’œuvre alchimique, les sept métaux peuvent être soumis aux douze différentes opérations qui en transforment la nature. De manière similaire, les sept planètes voient leurs caractéristiques transformées lorsqu’elles transitent dans les différents signes.
Enfin, le caractère de l’homme évolue au contact des forces qu’il rencontre en lui et autour de lui. En lui, elles s’expriment en tant que forces de l’inconscient. Cela explique que l’un des plus grands psychanalystes, le Docteur C.G. Jung, ait pu découvrir des liens entre les forces de l’inconscient qu’il manipulait et les symboles qu’utilisaient les alchimistes et les astrologues du Moyen Âge. Nous pourrions même aller plus loin en affirmant qu’elles représentent les manifestations d’une sorte de supraconscience, c’est-à-dire un niveau de conscience supérieur non encore réalisé en l’homme, mais néanmoins actif et présent. L’univers de l’astrologie est une traduction de notre univers psychique inconscient qui constitue une sorte de ciel intérieur. L’interprétation des symboles ne peut par conséquent faire appel seulement à la pure fonction intellectuelle, il doit y régner cette grande part d’intuition qui en fait un art. Voilà sans doute pourquoi un tel sujet a pu être trop hâtivement classé dans le domaine de l’irrationnel.
Cette vision unitaire des phénomènes peut également être illustrée par le fait que les symboles utilisés dans ces disciplines sont souvent les mêmes. Par exemple un point dans un cercle représente pour le cabaliste la cause première, pour l’astrologue il indique le Soleil, pour l’alchimiste il symbolise l’or ; dans l’homme ce sera la force de la volonté, mais également le centre psychique majeur du cœur. De même le principe de Saturne se trouve présent dans le symbole du plomb en alchimie. Il représente aussi la sagesse, l’introspection et la prudence en l’homme.
Au Moyen Âge, les alchimistes utilisaient également l’astrologie et aucune opération du grand œuvre ne se serait faite sans profiter de l’aide de certaines conjonctions astrales. En fait la connaissance, telle qu’elle est véhiculée par ces symboles, prend un caractère synthétique. Celui qui connaît un de ces arts peut dialoguer avec les tenants d’un autre d’après le principe selon lequel la même force peut agir dans des domaines de manifestation différents. La science actuelle reste en quête d’une telle vision synthétique de l’univers.
Curieusement, la pointe avancée de la science moderne rejoint peu à peu certaines intuitions des Anciens. Einstein, par exemple, a démontré par des calculs mathématiques avancés que l’espace était courbe. Autrement dit, selon ses informations, un vaisseau spatial lancé à l’infini en ligne droite reviendrait immanquablement au lieu d’où il est parti. Pourtant, bien avant lui, le philosophe Louis-Claude de Saint-Martin expliquait dès le XVIIIe siècle que l’espace était courbe. Voici ce qu’il écrivait : «Mais ce que nous n’avons point encore fixé, c’est de savoir quel est le nombre de l’étendue (c’est-à-dire l’espace). Il faut donc le dire, c’est ce même nombre 9 qui a été appliqué ci-devant à la ligne circulaire. Oui, la ligne circulaire et l’étendue ont un tel rapport, elles sont tellement inséparables, qu’elles portent absolument le même nombre qui est 9»… Plus loin il ajoute : «Je ne puis me dispenser d’avouer que l’étendue et la ligne circulaire ne sont qu’une même chose, c’est-à-dire qu’il n’y a que la ligne circulaire qui soit corporelle et sensible, c’est-à-dire, enfin, que la nature matérielle et étendue ne peut être formée que de lignes qui ne sont pas droites, ou, ce qui est la même chose, qu’il n’y a pas une seule ligne droite dans la nature…» En cela, Saint-Martin puisait dans les connaissances traditionnelles.
L’action de l’esprit sur la matière
L’autre grande loi véhiculée par les sciences maudites rejoint également les découvertes de la physique quantique. Cette loi tient en quelques mots : la matière et la conscience sont en interrelation, elles possèdent même une origine commune. En effet, un des principes de l’alchimie veut que l’opérateur se transmute au fur et à mesure de l’avancée de son œuvre. Pour produire une transmutation, le pouvoir de la pensée prend un rôle important. La relation entre l’alchimiste et sa matière n’est pas neutre. La physique quantique a également mis en évidence, lors d’expériences très sensibles, l’influence de l’observateur. Ainsi le monde ne pourrait pas seulement être décrit en termes de sujets et d’objets indépendants, mais plutôt comme un tout dans lequel la matière et la conscience agissent l’une sur l’autre à des niveaux très subtils.
C’est d’ailleurs cette possibilité d’action de la pensée sur l’environnement qui explique pourquoi il peut être dangereux de ne voir dans l’astrologie et les tarots que des systèmes divinatoires permettant de considérer l’avenir comme une destinée fatale. En effet, la conscience étant un facteur actif dans le monde, cela signifie que prévoir l’avenir peut revenir en fait à le créer.
Cela peut se passer de deux façons : annoncer un événement à quelqu’un revient à utiliser le pouvoir de la suggestion qui poussera la personne à agir exactement dans le sens de ce qu’elle a entendu. Pas besoin de divination pour expliquer le phénomène et certaines diseuses de bonne aventure sont plus douées dans l’art de la suggestion que dans celui d’interpréter les symboles. Deuxièmement, annoncer l’événement peut contribuer, par le pouvoir de la conscience, à mettre en œuvre des forces. Ces forces réuniront peu à peu les éléments qui amèneront l’événement envisagé à se produire. La destinée aveugle ou fatale n’a rien à voir avec le phénomène, donc prudence. Au lieu de libérer les hommes, certaines prédictions peuvent pour ces raisons les emprisonner dans des choses dont ils sont les auteurs à leur insu. Or, le rôle de toute véritable spiritualité consiste à libérer l’homme, et non à le rendre dépendant ou emprisonné. L’alchimiste connaît bien ce principe d’interrelation entre sa propre transmutation et celle de sa matière. Beaucoup d’astrologues l’ignorent ou feignent de l’ignorer.
Loin d’être hors-jeu, les sciences traditionnelles, épurées des superstitions et tricheries, puis ramenées à leur essence métaphysique, peuvent être utiles à l’homme moderne. Un des buts de l’A.M.O.R.C. aujourd’hui consiste à maintenir haut le flambeau de cette tradition, revisitée et adaptée à la mentalité moderne. Grâce à ces concepts, l’homme, loin de se sentir un étranger dans un monde qu’il cherche à dompter, peut se réconcilier avec lui. Il se voit alors comme la composante d’un grand tout dans lequel il trouve sa place, infime mais indispensable. »