« Assis tout près du château de Quéribus, les yeux rivés vers les étoiles, un chercheur dépose à ses côtés les choses de la vie, afin de s’identifier un instant aux profondeurs de l’infini, à l’écoute des pierres, du message des astres, et de cette saine émotion qui, dans le coeur, grandit. Combien d’êtres as-tu vus passer depuis ton piton rocheux ? Combien de maux, d’illusions, de discours sans fin ?
La chair se dissout dans le creuset du temps qui passe. La pensée, tout comme le pollen dans le vent printanier, s’éparpille en une genèse discontinue dans les consciences nouvelles et à venir. Fou est celui qui se croit seul parmi la multitude, à gémir sans cesse dans l’orbe de sa vie, à rejeter sur l’autre la cause de son mal de vivre, à ne juger le monde qu’à travers le «on dit», l’écran de télévision, la fausse réalité de son vécu quotidien, masqué par la turbulence et l’agitation de son propre mental.
Petite planète bleue autour de son étoile, à la lisière de la Voie lactée, qu’évoque pour toi le « je suis » ? Rien ! sinon un grain de poussière muni d’une embryonnaire particule d’intelligence, assemblée à d’autres particules, en route vers l’immuable et inconnaissable infini.
Dès sa naissance, Isis recouvrit d’un voile le visage de l’Homme, afin qu’il ne vît point la beauté de ses yeux. Ainsi, toute sa vie plongé dans l’ignorance, il devait errer dans le labyrinthe obscur de ses propres passions. Seul l’éveil progressif de son intelligence doit lui permettre, un jour, de saisir à pleines mains le fil d’Ariane de la liberté, afin qu’à la Lumière retrouvée, il puisse goûter le fruit mystérieux de l’Arbre de la Connaissance, situé en plein coeur de son Eden perdu.
La Dame du lieu, vêtue d’une longue robe blanche, apparaît parfois au promeneur solitaire venu se recueillir ici, un soir, lorsque la nuit est constellée d’étoiles. Elle vient chuchoter doucement à l’oreille quelques mots, quelques phrases audibles au coeur sensible, uni un instant dans l’instant d’éternité.
Qu’est-ce qu’une seconde dans l’éternité de l’Univers ? Un être s’efface, un autre vient. Est-il quelque chose de subtil qui fait vibrer la vie dans la fleur qui s’éveille, dans l’enfant qui crie au monde naissant ? Énergie de vie, t’arrêtes-tu vraiment lorsque, le dernier souffle venu, l’être s’endort pour dans le néant se fondre ? « Il est d’étranges soirs, disait le poète, où les fleurs ont une âme… » Il est d’étranges moments où, lorsque le mental s’estompe, le coeur chavire dans les profondeurs du silence intérieur.
Va ! Va mon âme vers ces étendues mystérieuses que le mental, trop bavard, ne soupçonne même pas. Ramène-moi de ton voyage ces quelques fragments de Lumière, transmis depuis l’aube des temps par la magie du symbole, par le verbe de ceux qui ont osé gravir le difficile sentier de la connaissance, et dont les mots, telle l’écume sur les écueils épars, se sont à jamais brisés en nos mortelles consciences.
L’Homme, la Nature et l’Univers sont une image cristallisée, une émanation, une projection de la lumière de l’Intelligence universelle. Le reflet va s’identifier à sa source, devenir ainsi lui-même la Lumière, et retourner à l’unité. Tout n’est que flux et reflux dans l’Océan cosmique. Tout est continuité : commencement, fin, recommencement. Le monde de la forme, mû en un mouvement de spirale par l’énergie invisible de l’intelligence, ne peut concevoir son Créateur sans en ressentir l’essence derrière le souffl e du vent, la fleur qui éclot, la chenille devenant papillon, l’enfant qui tend la main pour quatre grains de riz, le vieillard sur son banc, attendant le moment où il devra partir. Par l’abstraction de l’illusoire apparence, le coeur peut percevoir, à travers la multitude, cette force d’Amour dans laquelle il vient se fondre et où il n’est question ni de races, ni de religions, ni de couleurs. Elle est là, l’éternité, en cette force immobile, omniprésente, cause du mouvement et de la vie. La spirale, symbole d’évolution, indique parfaitement sur un plan pratique que jamais, dans sa vie, l’Homme ne revient en arrière, ce qui du reste, serait en opposition avec les lois de l’Univers.
Le corps se forme, se déforme, meurt et retourne dans le cycle de la nature. Il n’est que le support, le reflet dans le miroir de l’âme. L’esprit, attiré par la matière, apprend, évolue, puis s’en retourne vers de nouveaux rivages, vers de nouveaux visages, sur un chemin qui n’a ni fin ni commencement. Dans l’incarnation, l’esprit est soumis à la fois à l’influence de la matière, de polarité négative, ou passive, et à celle de l’Intelligence universelle, de polarité positive, ou active. Le maintien de la vie dépend du rapport de force entre ces deux polarités dont le déséquilibre, dans un sens ou dans l’autre, conduit à la maladie physique ou mentale.
Enfermé dans son corps de chair, l’être se croit unique, seul parmi la multitude. Aussi est-il tenté par l’illusion de ses sens et par ce qu’il pense être la réalité. Nous commettons des erreurs de jugement dans nos paroles et dans nos actes, souvent par l’ignorance qu’il y a en nous autre chose que des atomes et des électrons, et que la seule chose qui diffère de nos semblables réside dans l’apparence extérieure. Derrière le masque se cache l’infini d’où nous venons et où nous reviendrons. »
par Michel Cabanier, extrait de la revue « Rose-Croix », printemps 2016.