Au XVIIIe siècle, Emmanuel Kant vitupérait contre le militarisme. Il déclarait que de grandes armées et de puissants armements tendent à menacer la sécurité des autres nations qui réagissent alors en constituant d’importantes forces militaires opposées pour assurer leur sécurité, ce qui épuise leur budget. De plus, il déclarait que de tels armements amènent finalement des confrontations entre nations. La supposition qui ressort de ce type de raisonnement, que l’on retrouve couramment exposé aujourd’hui, c’est que la paix devrait être le résultat final, universel du désarmement.
Une question surgit : « La suppression des armes de guerre incline-t-elle nécessairement et intérieurement l’individu à une conduite moins agressive ? » Nous supposons que l’accès aux armes incitera une faction aux tendances douces à devenir belligérante, individuellement ou collectivement.
En généralisant, les guerres sont fondamentalement causées par deux motivations de base : l’auto-défense et l’exploitation. L’exploitation peut s’expliquer principalement par des motifs mercenaires ; la nécessité de créer de nouveaux marchés pour le commerce, la saisie des ressources naturelles, et les fins de domination. Différentes explications ont été données pour essayer de justifier de telles guerres. Toutes les grandes puissances du passé et d’aujourd’hui ne sont pas entièrement innocentes de telles actions.
Quant aux guerres « défensive », l’histoire a montré que certaines étaient entièrement motivées par une menace réelle ou apparente pour l’existence d’un pays. Cependant, beaucoup de ces guerres commencèrent pour des raisons très différentes. Ce type de guerre “défensive” fut souvent précédé d’une lutte interne menaçante et d’une révolution potentielle. Donc, pour désamorcer de telles tensions et pour préserver le gouvernement en place, une propagande fut lancée, annonçant une menace de guerre imminente de la part d’une nation voisine. Une telle propagande devait abonder en proclamations d’atrocités commises par une telle nation contre les citoyens accusateurs. Habituellement, ceci parvenait au but de consolider le soutien public au gouvernement et d’apaiser temporairement l’esprit révolutionnaire ; mais cela précipitait dans une guerre inutile, ce qui impliquait une grande perte de vies humaines et de biens des deux côtés.
Psychologiquement, un déploiement de puissance et de force de la part d’une nation peut inculquer la suspicion et la peur chez ceux qui ont une moindre capacité et qui existent dans l’ombre de cette nation. La puissance et la force n’impliquent pas nécessairement la belligérance. Cependant, leur édification et leur contrôle sont soumis aux décisions des hommes. Un tel pouvoir et une telle force peuvent amener une surabondance d’égoïsme chez le possesseur, ce qui résulte en intolérance. Un individu qui a les moyens d’exercer un grand pouvoir sous quelque forme manifeste habituellement une attitude intransigeante envers toute opposition. Celle-ci est supposée être une menace à sa supériorité et il peut alors exercer son pouvoir pour diminuer la différence.
Le déploiement par une nation d’un grand pouvoir économique et militaire crée l’envie. Une nation qui « n’a rien » entretient, souvent sans justification, la croyance que la prospérité de la nation puissante a été acquise d’une certaine manière à ses dépens. Le chef de la nation plus petite poussera alors ses concitoyens et les habitants des nations voisines à former une coalition contre la menace imaginaire de la puissance.
La tendance à l’affirmation personnelle, à l’agression est immanente chez l’homme. La survie n’est pas seulement une simple question d’existence physique comme la satisfaction des appétits, c’est aussi la satisfaction des émotions et la réalisation des objectifs mentaux que l’homme se fixe. S’il en avait été empêché à un stade primitif de son développement, ses réalisations auraient été futiles. L’homme s’est mesuré aux obstacles et ceci l’a fortifié physiquement tout en stimulant ses pouvoirs mentaux.
L’ego comme le corps a ses appétits. Deux des plus grands sont la cupidité et la puissance. Le premier, l’amour de la possession agrandit l’ego. En d’autres mots, plus l’individu possède de choses matérielles, plus il a tendance à étendre un aspect du moi. Psychologiquement, ce que nous « avons » est une expansion du rapport physique avec le moi ; disons simplement que « je » et « le mien » sont étroitement liés à notre sentiment personnel du moi. Le moi est complètement individualiste ; il ne recourt à l’assimilation que lorsque ce qu’il acquiert est considéré par lui comme pouvant augmenter le moi. Autrement dit, ce qu’il fait pour les autres est surtout satisfaisant pour le moi personnel.
L’empathie, une extension du sentiment pour les autres, et l’un des sentiments les plus élevés, est une réaction émotionnelle qui doit être cultivée avant la satisfaction plus élémentaire du moi limité. Ce noble désintéressement est un précipité de la discipline morale. Il est souvent stimulé par la religion, mais malheureusement pas de manière universelle. Souvent, il est également engendré sous la direction des parents du fait qu’ils instillent les valeurs de la société et l’idée de la nécessité de se relier aux autres pour un bien mutuel.
Néanmoins, les tendances et les impulsions primitives du moi prédominent. Si elles ne sont pas contrôlées par des réflexions raisonnables, elles peuvent décimer la société. Puisque les gens qui sont dirigés par ces motivations primitives recourent souvent à la force pour leur satisfaction, d’autres hommes doivent employer des méthodes similaires pour les contrôler.
Par analogie, disons que tant que les municipalités sont obligées d’avoir des agents de loi armés pour maintenir l’ordre, les nations ne peuvent pas faire moins quand elles sont en face des puissances qui font étalage à la fois de puissants armements et d’une ambition criante pour la domination du monde.
Une nation peut-elle plaider pour la paix de manière idéaliste en désarmant ? La paix acquise par l’acte symbolique du désarmement suppose que les êtres humains dans le monde entier ont atteint la nécessaire maîtrise d’eux-mêmes, de sorte que l’usage des armes n’est plus nécessaire.
Dans le présent état des affaires internationales, qu’une nation désarme dans un geste de paix susciterait un possible anéantissement en tant qu’état souverain. Le désarmement doit être universel, c’est-à-dire qu’il doit résulter d’un engagement mutuel. Il n’y a malheureusement aucune assurance universelle que toutes les nations, et chacune en particulier, observeraient loyalement un tel engagement. Ceci reflète encore le fait que la paix doit d’abord commencer par l’homme lui-même.
Récemment, nous reçûmes de la documentation d’une organisation plaidant en faveur du désarmement complet. Pour l’A.M.O.R.C. elle semblait avoir une certaine tonalité politique liée à son idéalisme. Notre Ordre répondit qu’il ne pouvait pas soutenir le plan proposé. Nous fûmes critiqués pour avoir refusé notre accord, d’autant plus que disait-elle, une organisation ayant nos principes avoués aurait certainement dû soutenir cet objectif. Notre Ordre est très nettement opposé à la guerre et à l’accumulation des armements, aussi bien qu’au développement et à l’acquisition d’armes nucléaires qui pourraient amener un conflit international.
Cependant, le désarmement doit s’accomplir d’une manière universelle. Consentir à désarmer unilatéralement est une folie. Les individus hautement motivés qui ont la paix pour objectif, mais qui considèrent la question raisonnablement, réalisent que le fait qu’une nation désarme unilatéralement ou que quelques nations le fassent, peut susciter un désastre pour un état souverain. Les émotions et les sentiments, aussi nobles soient-ils, doivent être tempérés par le calme de la raison.
Extrait du livre Ralph Maxwell Lewis, un Rose-Croix des temps modernes – Tome 1, Diffusion Rosicrucienne, 2014.