« Il est un fait que l’on peut observer chez tous les êtres humains, dans toutes les civilisations, à toutes les époques et sous toutes les latitudes : l’aspiration au bonheur. Il est le nec plus ultra de tous les vœux, la promesse fondamentale du politicien convaincu, du religieux exalté, du scientifique “pur et dur”, comme du philosophe idéaliste. C’est ainsi que depuis des temps immémoriaux se sont répandus dans le monde des modèles sociaux, des doctrines politiques, des systèmes économiques et des disciplines de vie fondés sur des croyances ou des révélations dont la finalité est d’amener l’individu et la société au bonheur… La «quête du bonheur» semble donc être l’élément moteur et le but ultime de l’existence humaine.
Dans la plupart des ouvrages de référence, le bonheur est défini comme «un état de bien-être et de félicité». Quant aux citations d’auteurs relatives au bonheur, elles sont très nombreuses. Nous n’en retiendrons qu’une seule, du philosophe Alain : «Le bonheur n’est pas le fruit de la paix ; le bonheur, c’est la paix elle-même». Mais alors, comment accéder à cet état de félicité totale ? Beaucoup de gens, peut-être la grande majorité, considèrent que l’accession au bonheur nécessite a priori l’existence de certaines conditions, notamment avoir de l’argent, avoir la santé, avoir une profession stable, évoluer dans une collectivité où il n’existe pas de conflits majeurs, bénéficier des commodités matérielles résultant des progrès de la science, etc. Ainsi, pour nombre d’individus, il faut remplir ces conditions pour prétendre au bonheur.
S’il est vrai que le bonheur dépend en partie des conditions précitées, les faits prouvent qu’elles ne suffisent pas pour être heureux. S’il en est ainsi, c’est parce qu’il réside davantage «au-dedans» de l’homme qu’«au dehors». Pour un individu donné, son bien-être réside dans la qualité de ses idéaux, ainsi que dans sa capacité à les vivre. Étant donné que chacun a une personnalité distincte et qu’il évolue dans un contexte spécifique (géographique, familial, social, culturel…), on peut dire qu’il existe un bonheur potentiel pour tout être humain, dès lors qu’il se fixe des objectifs positifs, fondés sur la recherche de son épanouissement personnel. Certes, il peut se tromper dans ses choix, mais au fil de ses expériences, il a toujours la possibilité de constater ses erreurs et de les corriger. En cela, le bonheur n’est pas statique, car il est un état de conscience dynamique et évolutif. Par ailleurs, il dépend essentiellement de la richesse intérieure.
[…]«La cause déterminante du bonheur réside dans l’activité conforme à la vertu» a dit Aristote, rejoignant en cela l’opinion de Socrate. S’il est vrai que les Rosicruciens parlent souvent des vertus, c’est parce qu’elles sont le propre de l’âme et la clé du bonheur. Tous les sages du passé nous ont dit combien elles constituaient le fondement de la dignité humaine et l’apanage de tout Initié digne de ce nom. Si tel est le cas, c’est parce que leur mise en application nous met en résonance avec notre nature divine et fait appel aux énergies les plus positives de notre Moi intérieur, d’où cette recommandation que nous pouvons lire dans le livre «C’est à toi que je confie» : «Que peux-tu imaginer de plus beau que ton âme ? Elle est l’essence même de Celui qui te l’a donnée. Ne cherche pas à la ressentir parfaitement, mais communie avec elle. Recherche l’âme par ses facultés, mais connais-la par ses vertus».
Ce qui caractérise une vertu, c’est le fait qu’elle est synonyme de liberté dès lors qu’on la pratique. En effet, plus nous exprimons de vertus dans nos jugements et notre comportement, plus nous nous émancipons et nous sentons libres. C’est ce qui fit dire à Épictète : «Tu espères que tu seras heureux dès que tu auras obtenu ce que tu désires. Tu te trompes. Tu ne seras pas sitôt en sa possession que tu auras les mêmes inquiétudes, les mêmes chagrins, les mêmes dégoûts et les mêmes craintes. Le bonheur ne consiste point à acquérir et à jouir, mais à ne pas désirer. Car il consiste à être libre». Dans le même ordre d’idée, Bouddha enseigna que si nous souffrons, c’est parce que nous désirons. En vertu de ce principe, il préconisa aux hommes de se détacher de tout désir, condition absolue pour s’élever spirituellement et accéder au bonheur de l’âme.
Le bonheur se situe également dans l’aptitude à aimer tout être et à respecter tout ce qui vit. Inspiré par un tel amour, nous sentons naître alors en nous un seul et unique désir, à savoir utiliser nos dons et nos talents pour servir, aider, réconforter, guider, procurer la paix, etc. Vue sous cet angle, la quête spirituelle que nous devons mener est simple, car elle consiste à cultiver la sérénité et à développer l’intelligence du cœur. Cela suppose d’entretenir des pensées pures, de dire des paroles utiles, et de faire en sorte que nos actions soient constructives. Ce faisant, nous permettons à notre âme d’exprimer pleinement la sagesse qui est la sienne et de contribuer à l’harmonie en nous et autour de nous. C’est donc au plus profond de nous-mêmes que se trouve la source du bonheur, cette «Shambhala» dont il est question dans certains textes ésotériques.
Les enseignements traditionnels, c’est-à-dire issus de la Tradition primordiale, constituent une bonne réponse aux angoisses de l’homme et un moyen privilégié pour connaître le bonheur. Lorsque Jésus déclara qu’«il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu», il a voulu dire qu’il est tout-à-fait normal que l’homme réponde aux exigences de sa vie matérielle (donner à César), mais qu’il doit aussi satisfaire les exigences de sa vie spirituelle (donner à Dieu). C’est donc en œuvrant sur ces deux plans qu’il peut établir l’harmonie en lui, condition sine qua non au vrai bonheur. Celui-ci n’implique donc pas de renoncer aux plaisirs physiques ni aux commodités de la technologie, mais de les tempérer par la spiritualité. Cela revient à dire que l’idéal, pour tout individu, est de concilier les besoins de sa double nature. Or, ces besoins sont parfois en opposition, ce qui pose le problème du libre arbitre et du choix que chacun doit faire entre ce qui est bien et ce qui est mal pour lui.
[…]Que ce soit au niveau individuel ou collectif, il convient de dire que le bonheur réside dans le désir profond d’être et non d’avoir. Les hommes sont à la mesure de ce qu’ils font, et les nations sont à la mesure de ce qu’elles font. Cela veut dire que la vie sur Terre est à la mesure de ce que les hommes et les nations en font au fil du temps. Telle est la Loi. Pour que notre humanité génère le bonheur, il faut qu’elle fasse preuve de maturité et qu’elle acquière le sens des responsabilités. Nous savons que la planète est en danger sur le plan écologique, que l’humanité est menacée par la surpopulation, que les conditions de vie pour la majorité des êtres humains sont désastreuses, etc. La solution à ces maux réside, d’une part dans une spiritualité fondée sur la communion avec le Divin et sur la pratique de la Vertu, et d’autre part dans un humanisme basé sur le désir d’établir une véritable fraternité entre tous les hommes. Par la victoire de l’être sur l’avoir, du collectif sur l’individuel, du spirituel sur le matériel, l’humanité se régénérera et s’ouvrira elle-même au bonheur.
Nous dirons en conclusion que le bonheur est à la fois une quête individuelle et collective, fondée sur le désir de mieux se connaître soi-même et de mieux connaître les autres. Dans l’absolu, aucun être humain ne devrait se sentir pleinement heureux aussi longtemps qu’il sait qu’il y a, près de chez lui ou à des milliers de kilomètres, des gens malheureux. Le bonheur correspond par conséquent à un état de conscience qui s’appuie sur des idéaux profondément humanistes. Or, l’humanisme, au sens que les Rosicruciens donnent à ce terme, ne peut se concevoir qu’à travers la spiritualité, car c’est en ayant la conviction qu’il fait partie d’un Plan divin que l’homme peut se transcender pour son propre bien-être et celui d’autrui. »
S’ensuit un débat entre les membres présents à la réunion.