« Parler du voyage comme d’une quête vers l’Essentiel n’a de sens que si l’on place l’Homme en correspondance avec Dieu, la Nature et l’Univers, face à sa destinée cosmique.
Ainsi, depuis que l’homme a acquis la conscience du Soi, au cours de millénaires d’évolution, il n’a cessé, empreint d’une certaine nostalgie ontologique, de chercher le Paradis de ses origines. Il s’est alors entouré d’un univers fait de mythes, d’allégories, de contes fantastiques, pour marquer la continuité entre son état terrestre actuel et son origine cosmique. Dans tous ces récits, qui ont jalonné l’histoire de l’humanité, concerné toutes les grandes civilisations et religions, la recherche intérieure de l’homme s’est extériorisée et exprimée en partie au travers de grands voyages censés l’aider dans le rassemblement de ce qui est épars, dans le but de recouvrer son état pré adamique.
Aussi, il semble important de comprendre comment, au cours des millénaires, l’homme a été amené à construire au travers du mythe tout un univers propice à son évolution. Pour cela, nous allons prendre appui sur des récits empruntés au système de pensée de la Grèce antique et nous intéresser ensuite à l’impact de ces mythes sur nos civilisations. Pour conclure, nous parlerons d’un voyage hors norme qui s’édifie hors du temps et de l’espace : le voyage intérieur, dans la démarche mystique.
Tout d’abord, il est utile de préciser qu’il sera parlé de voyage comme d’une notion générique intégrant les aspects de la personnalité humaine à la fois dans les domaines objectif, subjectif et inconscient, et se déployant autour de trois grands axes qui lui donnent toute sa signification, toute sa consistance : le temps, l’espace, le mouvement.
L’espace / temps sacré dans les mythes
Pour marquer notre première pierre d’angle, évoquons l’origine de la Création, cette étendue infinie qui préexistait, avant de venir à l’existence où aucun repère, aucune orientation n’est possible si on ne fixe à cette étendue un point fixe, un axe central à partir duquel tout vient à se manifester. Ce point originel est appelé en fonction des Traditions : « Verbe », « Lumière », « Souffle » ou « Émanation primitive ». Nous pouvons dès lors imaginer que cet acte créateur ouvre un espace donnant un sens originel à l’homogénéité du chaos primordial et qui, situé à l’origine du monde, va revêtir pour l’homme un caractère sacré. En effet, ce dernier, recherchant sa propre genèse, va créer au cours de son cycle d’évolution terrestre des lieux qui lui rappelleront cette correspondance avec cet espace sacré : les lieux saints, les temples ou tout autre lieu de prière ou de méditation qui lui permettront une communication avec le monde d’« En-Haut ».
De même, l’instant primordial où cette réalité a été créée constitue le temps des origines, le Temps sacré. Pour de nombreuses civilisations, c’est celui où se sont produits les éléments fondateurs sur lesquels reposent leurs règles et leurs valeurs. En ce sens, il tisse un lien avec le temps historique qui régit notre monde terrestre auquel il donne sa légitimité. Les moyens que l’homme se donne pour retrouver et revivre ce temps primordial se manifestent principalement dans les fêtes, les commémorations et les rites. Nous pouvons ajouter que c’est l’expérience et la reconnaissance de cet espace/temps sacré qui rendent possible ce Voyage d’ordre ontologique de notre nature profane à notre nature spiritualisée.
C’est à partir de ce substrat qu’ont été élaborés les mythes (du grec muthos : parole, récit transmis), ensemble de récits merveilleux et de légendes, d’origine religieuse ou philosophique, qui racontent des événements antérieurs à l’ordre actuel, des récits de la Création du monde où l’homme évoque la conquête de l’équilibre ou de l’harmonie sur le désordre originel. Ils retracent les relations entre les dieux et les humains. Ces mythes sont nés pour donner un sens aux multiples interrogations qui habitent l’homme sur les mystères de l’univers. Ils peuvent relater une histoire sacrée, un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, au commencement, et qui est reconnu comme une réalité par la société et révélant un mystère.
Cette mythologie née de l’imagination primitive est en quelque sorte conçue par l’homme à partir d’une projection anthropomorphique des observations de phénomènes naturels fascinants et terrifiants, dans le but de se les approprier. La dimension sacrée des mythes, où se mêlent les dieux, les hommes et autres personnages surhumains, vient donc de cette fascination exercée par l’univers sur l’homme. C’est ainsi que dans les relations entre les hommes et les divinités, ces dernières possèdent des qualités hors du commun comme la force, la beauté exprimées quelquefois sous des traits humains, d’autrefois associées aux manifestations de la nature, notamment les astres ou les planètes, ou encore à des animaux (oiseaux, chevaux…), mais aussi sous des apparences mi- humaines, mi- animales comme dans l’Égypte ancienne. Ces mythes reflètent souvent les notions de bien et de mal où le héros est récompensé pour sa victoire sur le mal. Ces grands mythes fondateurs se retrouvent en Orient comme en Occident. Ils ont inspiré bon nombre de philosophes, de penseurs et de prêtres, notamment de la Grèce antique comme Eschyle, Sophocle, Euripide, et bien d’autres…
Le voyage dans la mythologie grecque
Nous pouvons illustrer cet imaginaire fantastique par le récit d’un grand voyage mythique qui dura vingt ans, dépeint dans l’Odyssée par Homère : celui d’Ulysse, homme aux capacités extraordinaires, qui vécut bien des aventures périlleuses pour retrouver à la fin de son périple Ithaque, l’île de son départ. Dans les grandes étapes de ce voyage, Ulysse parti en mer se trouve confronté :
– au cyclope Polyphème qu’il combat en lui crevant le seul œil qu’il possède ;
– au dieu Éole ensuite qui lui donne le pouvoir sur les vents en les enfermant dans une outre que ses compagnons laissent échapper, provoquant une tempête et sa colère ;
– à la sorcière Circé qui a le pouvoir de transformer les hommes en pourceaux, leur faisant oublier leur condition d’humains ;
– au monde d’En-Bas où il converse avec les héros et les personnages du passé, notamment le prophète Tirésias ;
– à l’appel des Sirènes et à la navigation entre les périls jumeaux de Charybde (un tourbillon épouvantable) et Scylla (monstre de douze pieds et six têtes caché dans une caverne) ;
– à la nymphe Calypso qui le garde sept ans auprès d’elle et fait de lui son amant.
– Il s’arrête ensuite à l’île du Trident où il lui est interdit de consommer les vaches du Soleil, puis en Phéacie où il est trouvé dépouillé, nu, ensuite recueilli, pour retourner enfin à Ithaque où il supprime tous les prétendants de Pénélope, sa femme qu’il reconquiert.
Cette brève narration incomplète est utile pour montrer que dans un récit mythique où se mêlent des personnages de toutes sortes, des dieux, des monstres et des hommes, celui-ci transmet un message sur la place de l’homme en prise avec la réalité du monde, face à ses doutes, ses préoccupations, ses angoisses. Toute cette aventure s’apparente donc à une succession d’épreuves à caractère initiatique dont nous pouvons décrypter le sens symbolique :
– Ainsi, la fermeture du seul œil du cyclope correspond à la fin de l’ignorance pour une ouverture sur les deux mondes, mais aussi, par le pieu qui y est planté, l’ordonnancement du chaos primordial auquel il faut donner un sens et une orientation vers la verticalité.
– Le pouvoir donné par Éole représente la prise de conscience des énergies intérieures et la nécessaire maîtrise des éléments.
– Circé, c’est l’oubli passager de la destinée et le retour à l’animalité dans le cheminement personnel.
– Le monde d’En-Bas, le retour aux instincts primaires, évoque également la mort initiatique.
– Les sirènes créent l’avertissement face aux choses éphémères et superficielles de l’existence.
– Les périls jumeaux rappellent les vicissitudes de la vie mais aussi la destinée humaine si elle reste orientée uniquement vers la satisfaction de nos besoins primaires.
– Chez Calypso, le repos éphémère engendre un arrêt provisoire de la démarche initiatique vers une réalisation de soi non encore achevée.
– Les vaches du Soleil incarnent la parole donnée, le discernement mais aussi la loi d’action et de réaction.
– En Phéacie, Ulysse nu et dépouillé caractérise l’émergence de l’homme régénéré. Le vieil homme meurt par immersion dans l’eau et donne naissance au Nouvel Homme. L’absence de vêtement renvoie également à un voyage archétypal dans le temps par l’absence de l’usure.
– Le retour à Ithaque et la reconquête de Pénélope scellent la conquête de son âme et le retour à l’androgynat.
[…]Le voyage aux temps modernes
Voyager à notre époque recouvre un large éventail de possibilités. Nous pouvons voyager comme le fait tout simplement un touriste à la découverte de nouvelles contrées, de civilisations, ou pour des motifs de bien-être. Ce type de voyage correspond pour beaucoup à un premier niveau de prise de conscience par l’ouverture qu’il opère sur l’individu, notamment aux niveaux intellectuel et émotionnel.
Internet : le voyage virtuel
De nos jours, les progrès techniques nous ouvrent également des champs d’exploration immenses par le biais d’Internet. Nous assistons là à une formidable distorsion du temps et de l’espace, puisque par la pression d’un bouton, sans voyager physiquement, nous accédons à des informations écrites et visuelles de tous les endroits de notre planète en un temps record. Ce moyen moderne de voyager fait partie intégrante de l’univers de communication de toute la nouvelle génération. S’il présente sans conteste une nouvelle richesse accessible à l’homme, restons cependant maîtres de l’outil. Le virtuel contribue à élargir notre champ d’investigation et notre imagination, mais il faut savoir se recentrer pour éviter la dispersion. Le virtuel n’est pas le Réel.
Le voyage compagnonnique
Le voyage peut aussi allier la vertu pédagogique du travail à une démarche spirituelle. Le tour de France effectué par les Compagnons du Devoir en est la preuve. À l’unanimité de cette communauté, on ne devient pas Compagnon sans avoir voyagé. C’est le voyage qui est le vecteur de la transmutation progressive de l’individu. Rappelons que la formation compagnonnique démarre au stade d’Apprenti, période pendant laquelle une première œuvre doit être réalisée pour lui permettre d’accéder au titre d’Aspirant. Il reçoit cette distinction lors d’une initiation dite « d’adoption ». Il entreprend dès lors le tour de France, dont la durée varie en moyenne de cinq à sept ans, au cours duquel il va allier apprentissage du métier et enrichissement personnel, voire spirituel.
La vertu pédagogique de son périple va consister dans le fait de découvrir des techniques d’apprentissage propres aux diverses régions traversées, la richesse du patrimoine du métier choisi, l’ouverture à la diversité culturelle et au métissage des traditions par la multiplicité des lieux de vie rencontrés. Pour le Compagnon, c’est également une rencontre avec la géographie des lieux et l’histoire des régions, la culture des peuples, mais surtout avec d’autres facettes de lui-même, par le miroir que lui renvoient les hommes et les femmes croisés sur sa route.
Voyager, pour lui, comme pour le Rosicrucien, point vivant d’interrogation, c’est se remettre en cause, repartir régulièrement, s’ouvrir constamment à d’autres façons d’être et de penser, c’est refaire ses preuves à chaque étape et se reconstruire. Dans ce contexte, le Voyage lui ouvre la voie de l’excellence, c’est-à-dire la rencontre avec l’Autre et avec ses propres valeurs intérieures. Tout comme dans les mythes évoqués précédemment, nous sommes bien là dans un cheminement initiatique, où l’aspirant est alors fait Compagnon lors d’une cérémonie, après avoir réalisé le « chef-d’œuvre », reconnaissance de l’acquisition de compétences et de connaissances dans son métier, mais également de don de soi par l’énergie et la disponibilité mobilisées. Il faut rappeler également qu’un chef-d’œuvre est gratuit et qu’il s’inscrit dans une filiation de transmission de ce qu’on a reçu et que, par ailleurs pour le récipiendaire, ce voyage entrepris ne constitue pas une fin en soi, car le véritable voyage ne commence qu’à ce moment-là.
Un ancien rituel du compagnonnage résume de façon plus traditionnelle cet engagement : «Le philosophe doit faire son chaos tel qu’il fut effectivement, séparer la lumière des ténèbres, former son firmament séparant les eaux d’En-Haut avec les eaux d’En-Bas, et accomplir enfin, parfaitement et suivant la marche indiquée, tout l’ouvrage de la Création ».
[…]Le mouvement
Nous avons beaucoup parlé jusqu’ici du temps et de l’espace comme facteurs déterminants de la compréhension du rapport existant entre l’homme et l’univers ; il est utile d’évoquer maintenant le troisième élément qui donne un sens, une animation, une intensité à tout pèlerinage : c’est le mouvement. Il va de soi qu’il ne peut y avoir une impulsion première sans le mouvement. Celui-ci naît également avec les premiers instants de la Création, cette vibration primordiale qui génère tout acte créateur, ainsi que l’expose Louis-Claude de Saint-Martin : « Tout acte de la part de l’Éternel constitue un centre avec trois angles. Le centre émané est l’image de l’être produit, les trois angles, l’image de ses facultés et puissances. Dans tous les êtres, il n’y a de fixe que le centre. Toutes leurs puissances sont mobiles ». C’est ce qu’exprime également la pensée rosicrucienne qui énonce que tout est vibration.
C’est cette vibration qui édifie l’homme dans le mouvement à l’image du cosmos en perpétuel changement, c’est cette force vitale qui pulse dans chacune de nos cellules, c’est l’injonction de Dieu à Abraham : « Va, marche vers toi-même » comme moteur de l’Évolution. C’est aussi le rythme qui cadence les pieds du pèlerin en contact avec la terre, irrigue et libère la tête reliée au ciel et l’élargit aux dimensions de l’univers. Ce mouvement amplifié par la foi intérieure, la volonté, les efforts personnels contribue à l’édification du Nouvel Homme, par la neutralisation des faux principes qui l’enchaînent au monde matériel, et à l’émergence d’une conscience éclairée.
Le pèlerinage : un parcours initiatique
Quel que soit le pèlerinage, nous retrouvons chez le pèlerin un cheminement intérieur en trois étapes :
– La purification : c’est une période au cours de laquelle le pèlerin décante, par ses efforts et son idéal qui le guide, les éléments bloquants, dérangeants, décourageants de sa personnalité, au niveau mental, émotionnel et physique, ces aspects étant souvent entremêlés. C’est en même temps un passage, où il se rappelle qu’il est une partie de l’univers et qu’il est habité par une motivation à vouloir l’atteindre. C’est le moment de toutes les concentrations et des décisions courageuses pour pouvoir abandonner des aspects négatifs de sa personnalité et laisser ses vertus émerger. Après cette décantation, c’est un ressourcement en patience et en foi intérieure.
– Ensuite, le détachement où il se recentre sur l’Essentiel, il se retrouve et s’équilibre par rapport à son axe central. Il ressent sa solitude physique, émotionnelle, spirituelle, mais guidé par son soleil intérieur, il opère un travail de transmutation salutaire qui fait ressortir peu à peu la profondeur de son être.
– Et puis, la nouvelle naissance : c’est une période au cours de laquelle la lumière prend le dessus sur les ténèbres, pour canaliser le passant nouveau-né sur le chemin encore long mais déjà engagé vers la réintégration.
Si nous devions, en synthèse, résumer les caractéristiques communes à tout pèlerinage, nous dirions qu’elles reposent sur plusieurs aspects :
– La reconnaissance d’un lieu sacré. Celui-ci s’impose comme une nécessité pour orienter et fixer une recherche collective ou individuelle de l’État primordial. Les lieux sacrés détiennent une charge particulière résultant des pensées et des dévotions des pèlerins et offrent un ressourcement.
– La démarche volontaire de la part de l’individu en liaison avec un acte de foi intérieure. Différents témoignages stipulent que l’appel vers le pèlerinage sourd de l’intérieur comme une impulsion impérative. Cet élan intérieur et ce vécu sont souvent retranscrits dans des pratiques et des rites particuliers.
– La recherche d’un idéal à atteindre. Cet idéal se manifeste par la volonté de se faire étranger à soi-même pour entrer en communion avec l’Autre en soi, son maître intérieur, par le désir de s’appauvrir au monde matériel pour acquérir la richesse spirituelle et renaître neuf, nu, pour entreprendre, en cet espace/temps précis du pèlerinage, une reconnexion avec le Cosmique.
Vu sous cet angle, le pèlerinage se vit comme une forme d’accomplissement, de passage vers 19 un intérieur dont le voile qui obscurcit la lumière originelle se déchire peu à peu. En ce sens, il est conquête de l’Essentiel, c’està-dire de « l’Essence du ciel ».
Le voyage intérieur
Maître Eckarthausen disait : « Il n’y a pas de plus beau sanctuaire sur Terre qu’un corps sain habité par une âme pure ». Cette phrase seule suffit à résumer cet autre aspect du voyage qui nous permet « ici et maintenant » de faire un véritable pèlerinage au-dedans de nous : dans un seul réceptacle vont se manifester des états modifiés de la conscience au sein de laquelle le temps, l’espace, sous l’impulsion d’une lumière grandissante, vont progressivement se dissiper pour laisser la place à un sentiment d’unité et de paix profonde.
Cette acception plus mystique du pèlerinage implique un retour, une marche vers soi-même en refusant un ancrage quelconque, synonyme d’arrêt du processus. Le voyage dont il est question ici est une expérience intérieure, car l’homme chemine dans une connaissance qui n’impose pas de changer d’espace puisque l’itinéraire en est l’Âme. Un mystique est celui ou celle qui ne peut s’arrêter de marcher, avec la certitude que ce qui lui manque est intemporel et hors de l’espace visible. D’autre part, si le pèlerin connaît son port qui est le lieu sacré où il doit se rendre et où il s’arrête, le voyageur mystique, lui, pressent uniquement sans savoir avec précision où se trouve ce port, si jamais il ait existé, s’abandonnant peu à peu à sa quête jusqu’à ce qu’un jour, peut-être grâce à ses efforts, ce soit le port qui vienne à lui.
Le voyage intérieur qui atteint les racines de notre être modifie substantiellement nos propres perceptions spatio-temporelles. Le temps irréversible se déroulant inexorablement du passé vers l’avenir peut devenir réversible. La Tradition témoigne, en effet, de la capacité des Initiés à s’harmoniser avec les archives akhashiques ou mémoire universelle, pour revivre les grands moments du passé, ou se projeter dans l’avenir. Elle incite également de façon pratique à dépasser le cadre spatial ordinaire par la projection du corps psychique, tel que cela est enseigné dans un degré de l’Ordre de la Rose-Croix.
C’est lorsque nous atteignons un niveau de conscience psychique et spirituel élevé que nous nous apercevons que le temps et l’espace sont des états de conscience qui n’ont pas de réalité propre : on peut les transcender par le travail sur soi, la prière, la méditation et la contemplation, rejoignant ainsi les messages délivrés par les Maîtres du passé.
Pour résumer l’essentiel de cette démarche, un auteur disait que : « La société traditionnelle doit sa cohérence à son caractère initiatique de vie dont le mythe est la source originelle, le rituel le schéma, le symbole son éthique, le balisage de l’espace mental et spirituel ». Nous pouvons ajouter que cet ensemble interprète un scénario dans lequel le temps primordial est conçu comme la matrice des temps et que les rites élaborés qui en découlent, ponctués de symboles, de gestes, de paroles, ont pour but de répéter l’acte créateur, de s’harmoniser avec le plan de la Création et les êtres de Lumière y séjournant, en vue de notre propre réintégration. Ce faisant, l’initié, s’inscrivant dans cette dynamique, installe peu à peu en lui une part grandissante d’éternité et de paix profonde. Il voyage dans les profondeurs de son être pour rencontrer son Maître Intérieur, lien spirituel vers la révélation du Soi. Sa reconnaissance grandit également envers ceux qui ont emprunté ce même sentier et lui ont légué cet héritage.
Lama Govinda, dans son ouvrage Le Chemin des nuages blancs nous traduit parfaitement ce sentiment : « Lorsque je regarde la longue route parcourue pendant cette existence-ci, je vois cette lumière, qui m’a guidé toute ma vie, serpenter dans un vaste paysage que domine le fleuve puissant de la Tradition spirituelle, ce fleuve qui coule depuis des temps sans commencement et tout au long des millénaires de vies et d’efforts humains. Il incarne les expériences de générations sans nombre. Ce fleuve jaillit des Illuminés qui, de temps en temps, se manifestent parmi les hommes, dont le message revêt une signification universelle si vaste, qu’après plusieurs millénaires, nous n’en avons pas encore atteint les profondeurs, ni épuisé les moyens d’expression et de réalisation ».
Même si nous pouvons considérer que l’homme du XXIe siècle, dans sa démarche mystique, s’affranchit de plus en plus de l’univers des mythes, des contes et des légendes, le mot de la fin revient toutefois à Sindbad le Marin qui nous interpelle par ces paroles ultimes : « Aujourd’hui, je sais que les légendes racontent la véritable histoire des hommes. Cette histoire ancienne à laquelle ils ont cessé de croire enseigne comment devenir montagne devant les montagnes, bourrasque dans la tempête, brasier pour affronter le feu ; elle sait vous offrir l’obscurité pour ne plus craindre la nuit, la transparence des sources pour vous mêler aux rivières et bien d’autres pouvoirs que les hommes ont perdus en perdant le pouvoir de s’émerveiller de tout. Je sais aussi, grâce à mes voyages, que les légendes continuent de vivre, qu’elles se sont retirées, ici et là, dans les lieux secrets où elles s’économisent, prêtes à renaître dans le cœur des hommes dès qu’ils accepteront de devenir des géants ». »
Exposé délivré dans le cadre de la convention de l’Ile Maurice des 14 et 15 mai 2005, par Max Lebon. Extrait de la Revue Rose-Croix n°218 – Eté 2006