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- Redéfinir son rapport au monde par l’univers sonore, La kairotopie, par P. Festou
- La circumambulation, par J.-L Lionello
- Documents d’Archives de l’A.M.O.R.C. : La Rose-Croix et la Bacon Society – Baconiana (1935)
La Circumambulation
par Jean-Louis Lionello
Nombre de traditions et de religions partagent un même rite, celui de la circumambulation. Ce mot (du latin circum ambulatio, c'est-à- dire « marche autour ») définit le sens et la façon de se déplacer dans un Temple, autour ou dans un symbole, autour de sites en extérieur (par exemple : des mausolées, des montagnes, des lacs, etc.).
Chaque tradition ou religion lui confère un sens symbolique, une idée-force, une activation d’énergie. Nous vous proposons de voir avec vous comment il est pratiqué dans les religions et la symbolique qui lui est donnée, puis de partager avec vous les différentes significations qui pourraient lui être données.
Si vous avez voyagé en orient, dans les régions et pays où le bouddhisme tibétain est pratiqué, vous avez pu voir les déplacements des pratiquants autour des statues de Bouddha, des stupas ou des chören en récitant des invocations. Le déplacement se fait toujours par la gauche en imitant la course du soleil. Le mérite sera donné par le Bouddha au pratiquant s’il est sincère et régulier dans ses déambulations.
À une échelle plus grande, le bouddhiste tibétain pratique une circumambulation qui s’appelle une Kora ou un pèlerinage autour d’un lieu géographique. Vous trouverez des circumambulations par exemple autour de la ville de Lhassa ou autour du lac Namtso (cette dernière dure 18 jours).
Il existe aussi des circuits encore plus longs autour de montagnes sacrées, telle la circumambulation autour du mont Kailash, longue de 52 km, considérée comme le plus important pèlerinage d’Asie. Cette montagne est sacrée dans quatre religions :
- Pour les hindouistes elle est la demeure de Shiva
- Pour les bouddhistes c’est la demeure du Bouddha de la compassion ou Chenresig, dont le Dalaï-lama est la réincarnation.
- Selon le Jaïnisme, c’est à son sommet que son fondateur a reçu son illumination.
- Enfin, dans le culte Bön, le bouddhisme chamanique, elle est le symbole de l’âme.
Les bouddhistes et les hindous font le tour de la montagne dans le sens des aiguilles d’une montre, les bönpos et les jaïns dans le sens inverse. Cette circumambulation se fait depuis des temps immémoriaux dans des conditions extrêmes de froid quelquefois à près de 5000 m d’altitude.
Le sens du mot tibétain pour désigner le pèlerin est « celui qui tourne autour d'un lieu saint ». Il renvoie directement à la circumam- bulation autour de lieux sacrés. Cette pratique religieuse essentielle des laïcs leur permet d'acquérir des mérites pour espérer une meil- leure renaissance dans le cycle du samsara.
Dans l’Hindouisme, on l’appelle la circumambulation Parikrama, ce qui veut dire « Le chemin qui entoure quelque chose » ou « Tour, circumambulation, procession, etc. ». C’est un rite essentiel dans la pratique religieuse et chaque temple hindouiste dispose d’un couloir périmétrique autour de la divinité la plus importante, généralement autour d’Agni qui symbolise le feu sacré. Comme dans le bouddhisme, les fidèles hindouistes font aussi leur circumambulation autour d’une ville sacrée, par exemple autour de Bénarès, ou en allant jusqu’aux sources du Gange, fleuve sacré, puis en en revenant. Le pèlerinage peut alors prendre plusieurs années.
La circumambulation pour un hindouiste se fait nécessairement dans le sens des aiguilles d’une montre. C’est-à-dire en ayant sa main droite vers la divinité ou l’autel. En effet, dans l’Hindouisme, un des concepts religieux fondamental définit et fait strictement le distinguo entre le Pur et l’Impur. La main gauche est de fait considérée comme impure et ne peut donc pas toucher ou montrer la divinité. Elle est rattachée aux déchets corporels, réservée à l’hygiène intime ou à la mort. Par exemple, on ne peut servir, manger, toucher de la nourriture qu’avec sa main droite. Le pratiquant doit donc dans son déplacement pouvoir tendre sa main droite vers la divinité, le sacré ou l’autel et sous aucune manière utiliser la main gauche sans commettre une profanation grave.
Examinons maintenant les religions du Livre. Nous pouvons tout d’abord faire un focus particulier sur l’Islam et le Judaïsme qui sous certains aspects ont certaines similitudes dans leurs pratiques religieuses et leurs rituels. Dans l’Islam, le rite de circumambulation indispensable s’appelle Tawaf. Chaque musulman doit faire le pèleri- nage (Hajj) à la Mecque et accomplir sept fois le tour autour de la Kaaba. Ce bâtiment revêtu de noir est situé au centre de la cour de la grande mosquée de la Mecque. La circumambulation débute à l’endroit où se trouve la pierre noire au sud-est de la Kaaba dans le sens anti- horaire soit à l’inverse de la course du soleil. Chaque pratiquant est vêtu de blanc et doit en théorie toucher cette pierre en prononçant des paroles d’invocation d’Allah à chaque tour. Plusieurs explications sont données communément à ces sept tours du Tawaf, ils représentent les sept étapes de l'Âme pour la rendre plus propre, et la dernière repré- sente la purification et la plénitude, ou, l’image d’un point central avec le monde qui tourne autour, ou, les sept allers et retours de la seconde épouse du prophète Ibrahim pour prévenir son mari Ismaël et permettre l’interven- tion de l’ange Gabriel pour leur enfant assoiffé dans le désert. Elle symbolise alors l’errance dans le désert à la recherche de l’eau. La circumambulation autour de la Kabaa, ou autour de la pierre noire, est un rite ancien et antérieur à l’Islam et quelquefois attribué à Abraham et Ismaël. Il est à noter que les trois premiers tours doivent être réalisés d’un pas rapide et les quatre derniers, pendant les litanies, d’un pas normal. Il y a dans l’Islam, deux autres circumambulations, la deuxième appelée « le circuit de débordement » après le retour à la Mecque du Mont Arafa, et la troisième et dernière « le circuit d’adieu » avant le voyage retour.
Dans le Judaïsme, le rite de circumambulation s’appelle Haqqâfâh, il représente les sept tours de la ville de Jéricho réalisés pendant sept jours par Josué et les Israélites accompagnés des sept prêtres sonnant sept cors et la chute des murs au septième jour, suivant la volonté de Dieu. Ce rite est célébré chaque année à l’occasion de la Fête de Sukkôt. Au septième et dernier jour de la fête de Sukkôt, Hoshanna Rabab, dans la synagogue (le Temple de Jérusalem) on célèbre le début de la saison des pluies, le jour du jugement des eaux par sept tours autour de l’autel, à la place d’un tour de l’autel les autres jours. Certains his- toriens du Judaïsme ont fait remonter que le sens profond de ce rite est à rechercher dans les pratiques primitives et antérieures de la religion juive, à l'époque où le chamanisme était assez couramment répandu. Cela aurait été semble-t-il primitivement un rite de pluie.
À partir du XVIe siècle, sous l’influence d’Isaac Louria, la tradition mystique juive introduisit de nouveaux rites de circumambulation pour symboliser notamment les passages ou moments critiques dans la vie. Par exemple, dans la cérémonie nuptiale la mariée entoure le marié sous le dais nuptial, ou encore, sept circumambulations sont réalisées autour d’un mort avant son inhumation. On trouve aussi cette pratique avec les rouleaux de la Torah pour la consécration d’un temple, on effectue aussi une circumambulation autour d’un cimetière au moment d’une sécheresse, ou autour de la tombe d’un saint pour une demande d’intercession, ou encore autour de la table domestique avant les trois repas du Shabbat.
À travers ces deux religions distinctes, nous retrouvons cette simi- litude du nombre sept. Le symbole d’un cycle complet qui va démarrer avec une nouvelle période de renouvellement ou d’intégration des attributs de Dieu dans l’âme des fidèles. Le pôle central représente la demeure de Dieu immuable, Temple de Jérusalem et son substitut les synagogues ou la Kaaba et ses substituts les mosquées. Les deux tra- ditions partagent le même nombre de circumambulations. Les deux représentations des deux mondes distinguent celui d’en haut et celui d’en bas. Les sept circuits qui représentent les sept étapes des cieux, les sept attributs divins. La concordance de ces circumambulations nous indique la nécessité de nous unir avec le monde supérieur et le travail que doit accomplir le fidèle pour réunir ces deux mondes.
Dans le Christianisme, les rites de circumambulation sont présents dans l’église catholique quand le prêtre fait une fois le tour de l’autel en l’encensant avec un encensoir. Dans certains sanctuaires catholiques, il est de tradition d'entourer l'objet de culte du lieu par un déambulatoire, généralement des reliques d'un saint ou une image de Jésus ou de la Vierge Marie. La circumambulation est exécutée trois fois, en référence à la Trinité. Nous retrouvons un déambulatoire autour du chœur dans beaucoup d’églises qui abritent le tombeau d’un saint ou des reliques renommées. En Bretagne, la tradition des tours, des pardons ou ce que l’on appelle des troménies à travers les campagnes bretonnes est restée très forte.
Dans les rites chrétiens le sens des circumambulations, soit à l'intérieur, soit autour des églises, a été semble-t-il généralement déterminé par la position de l'autel et par la considération que le côté le plus digne de l'autel est, par rapport à l'individu qui lui fait face, le côté gauche, car c'est celui où l'évangile se lit ou se chante à la messe. Ainsi dans les funérailles, le prêtre officiant qui asperge et encense le cercueil placé devant l'autel commence-t-il la circumambulation par le côté de l'évangile. Les pèlerinages sont les exemples de circumambula- tion individuelle ou en groupes autour des églises ou chapelles dans les lieux de pèlerinage. En général, c'est par trois fois que les pèlerins font le tour de l'édifice ou d'un autel ou bien du tombeau du saint. La circumambulation triple ne souffre que de très rares exceptions.
Nous avons des indications du sens de la circumambulation dans une église dans des écrits où l’on nous explique que selon la tradition du Nouveau Testament, Jésus ne pouvait pas entrer dans le Temple de Jérusalem par la même porte que les autres Juifs, ainsi, au lieu d'en- trer, comme eux, par la droite, il circulait à l'intérieur par la gauche. C'est l'une des explications données pour entrer dans les églises par la porte de gauche.
La circumambulation est aussi l’expression du temps qui passe ; il s’agit donc de circuler « en rythme », pas nécessairement lentement mais, en harmonie, selon le degré de solennité du moment. C’est un temps qu’il faut prendre, qu’il faut vivre pleinement car c’est un temps pendant lequel on participe en geste à la construction du temple symbolique, virtuelle mais aussi réelle, construction collective que tous ceux qui sont présents voient mais aussi individuelle et qui demeure secrète. C’est un moment magique de transformation, un moment initiatique majeur. Le point central d’un Temple rosicrucien, où est pratiquée la circumambulation, l’Autel ou sa Shekinah est le parfait exemple de ce qui est immuable, permanent, intemporel et Sacré. Nous pouvons faire le parallèle avec l’image de l’Axis Mundi décrit dans les traditions et les religions monothéistes avec celui d’un monde qui bouge et rappelle la course des signes zodiacaux, le mouvement des planètes, tout aussi bien le rythme des saisons avec son soleil. L’homme avance dans cet univers, monde qui bouge et évolue autour de cet axe central. Ce point central fondamental est la passerelle entre les mondes supérieurs (celui de la divinité ou Dieu de notre cœur) et les mondes inférieurs (celui de l’homme et de la nature). Nous pouvons symboliquement à travers cet Axis Mundi nous élever et recevoir les bénédictions des royaumes supérieurs. C’est une correspondance qui s’établit de fait entre le Ciel et la Terre.
La circumambulation peut aussi s’apparenter à un exercice de marche méditative, comme cela se pratique en orient dans le Bouddhisme où elle s’appelle Kinhin ou dans les cloîtres de nos monastères ou couvents. Cette méditation active induit une libération de la pensée, il n’y a pas d’effort. Notre perception intuitive est différente. Notre capacité à recevoir s’étend et elle est capable d’intégrer son espace environnant. Nous sommes en mesure de dépasser notre cartésia- nisme vers quelque chose de plus subtil et d’aller au-delà du monde physique. Nous remontons une spirale ascendante ou vice versa descendante.
De manière générale, et ce qui est commun à toutes les traditions c’est que la circumambulation s’effectue toujours autour de la représentation de Dieu sous des formes des plus variées : des statues, des mausolées, des montagnes, des espaces extérieurs sacrés ou des autels. Par l’acte de la circumambulation, nous nous mettons dans un état méditatif particulier et dynamique afin de bénéficier des énergies émises par la représentation symbolique et matérielle de Dieu dans un Temple sous toutes ses formes.
Nous tournons autour d’un point fixe, un axe central, un axis mundi. Et par cet acte de circumambulation, nous perpétuons à travers toutes les traditions, aussi différentes soient-elles, depuis des temps immémoriaux ce que la mémoire a oublié mais que seule la Tradition peut atteindre les aspects intemporel et permanent de Dieu dans ses pouvoirs omnipotent, omniscient et omniprésent.
Nous voudrions conclure cet article par cette phrase du grand historien des religions Mircea Eliade : « Chaque microcosme, chaque région habitée, possède un centre ; c'est-à-dire, un lieu sacré au-dessus de tout ».
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