« Les rituels sont habituellement associés à la religion. Cependant, leur fonction est bien plus vaste dans les exigences de la société. Nous pouvons proposer une définition générale du rituel en tant que système formalisé d’actions symbolisées. Plus simplement, c’est un procédé reconnu où certains actes comportent une signification particulière. Sans les formes coutumières que prennent les rituels, la valeur qu’ils expriment pourrait parfois se perdre.
Les rituels remontent aux anciennes civilisations où, apparemment, ils débutèrent en tant que nécessité essentielle. Les peuples les plus primitifs croyaient qu’une force surnaturelle inspirait l’homme. Cette force, appelée Mana par certains groupes, était apparemment associée à la volonté, au désir et à d’autres impulsions intérieures de l’homme. Ainsi, il avait l’impression d’être captif de cette force intérieure Mana, dont il devait chercher à se libérer. Il incombait à l’homme primitif de tenter de découvrir les moyens de contrôler Mana. Ainsi, différents actes étaient accomplis que l’on pensait pouvoir influencer le pouvoir surnaturel en accord avec la volonté humaine. L’emploi habituel de ces procédés eut finalement pour résultat l’établissement d’un ordre formel d’actes, qui devint un rituel.
Pour les proto-Égyptiens, c’est-à-dire pour le peuple indigène de ce pays, il n’y avait pas de religion telle que nous nous la représentons. Pour ces peuples, l’univers était formé de trois sortes d’êtres : les dieux, les personnes mortes et les personnes vivantes. Deux groupes, les dieux et les morts, étaient considérés comme n’étant pas naturels, c’est-à-dire comme étant entièrement séparés du phénomène de la nature. Toutes les relations avec ces deux groupes avaient donc lieu de manière similaire.
Certains éléments fondamentaux dans les rituels étaient de la plus grande importance. Le moment convenable, par exemple, était déterminé par de nombreux facteurs tels que la saison de l’année ou la crue d’un fleuve. Le lieu était tout aussi important que le temps ; on pensait que certaines régions possédaient un plus grand état de sainteté que d’autres. Aussi, certaines routes, éminences et bornes devinrent-elles des symboles sacrés du fait que quelque chose en elles suggérait un nexus, un lien avec la force surnaturelle ainsi conçue. Certains objets devinrent essentiels pour le rituel en raison de la valeur sacrée qu’on leur imagina. Des baguettes, des lampes et des fils de différentes couleurs eurent leur place dans les rites. Toutes ces choses différentes constituèrent ce qui fut appelé « le mécanisme des rites ». Chaque rituel a ses dépendances, ses outils pour exprimer son symbolisme.
Dans la forêt et parmi les tribus nomades, quand un individu était affecté par une maladie, un sacrifice était offert à un monument représentant la déité tribale. Ce monument se composait soit d’une grande pierre dont la forme inhabituelle attirait l’attention, soit d’un ensemble de pierres qui représentait le dieu. Le shaman, ou l’homme-médecin, présidait le rituel. Le shaman était souvent un descendant du précédent shaman s’il en possédait les qualifications, ou bien il pouvait avoir été choisi en raison d’une anomalie physique telle que l’épilepsie.
Les actes de la personne affligée et ses cris étaient considérés comme la manifestation, à travers la victime, d’un être surnaturel. Des interprétations de ces cris incohérents étaient acceptées comme des paroles prophétiques. Le shaman apprenait et accomplissait des rites et des actes secrets qui dupaient les gens sur les pouvoirs qu’il était supposé posséder. Plus simplement, la plupart des shamans ou des hommes-médecins étaient des psychologues pratiques. Ils s’appuyaient sur la peur et la superstition des gens en les employant pour le bien mutuel.
Nous avons été témoins, en Afrique et en Asie, des rites de ces shamans. Leurs actes, et parfois leurs chants, ont presque une influence hypnotique sur l’observateur ; l’ensemble cependant constitue un rituel dans son accomplissement systématique.
Les sacrifices offerts dans les rites primitifs incluaient des animaux et il y a également des preuves que, dans le passé, des sacrifices humains eurent également lieu. La survie des rites et des rituels impliquant l’usage du sang se retrouve dans la pratique des pierres maculées de rouge et des images peintes en rouge. Cependant, le sacrifice sanglant réel est encore pratiqué, par exemple, dans le temple de Kali, à Calcutta, en Inde.

Kali est une déesse hindoue qui à la fois donne la vie et la détruit. Le rituel consiste à attacher un agneau à un poteau de bois placé dans la cour du temple, vieux de nombreux siècles, et consacré à Kali. Un prêtre coupe la gorge de la victime et son sang gicle sur le poteau de bois. Ensuite, le corps est emmené et les adorateurs, selon un cérémoniel approprié, plongent un doigt dans le sang chaud et tracent un symbole sur leur front.
Le but des actes rituels varie. L’individu peut souhaiter exprimer la dévotion ou honorer les dieux. Puisque la prière est aussi un rituel, qu’elle est, soit institutionnelle comme dans les sectes religieuses, soit formulée personnellement, nous nous apercevons que ses buts sont semblables à certains objectifs des peuples encore primitifs. Dans leurs rites, des paroles de signification particulière furent souvent récitées pour avertir et menacer un autre être humain. Dans ce sens, le rite de la prière et ses malédictions sont reliés de manière similaire. Pour le peuple de l’ancienne Égypte, de tels actes étaient des rites magiques, sauf ceux dont le but était de présenter le symbolisme d’une religion mystique. De tels rites supérieurs se limitaient aux sanctuaires intérieurs d’un temple dans lesquels la foule n’était pas introduite ; seuls les initiés étaient admis.
La religion émergea de la magie comme une conception plus profonde et plus intellectuelle. Néanmoins, la loi de sympathie de la magie se retrouva dans les rituels de la religion et du mysticisme. Certains objets employés pour les rituels sacrés sont considérés comme porteurs d’un pouvoir surnaturel. Nous retrouvons cette conception dans les religions modernes où les images et les objets employés pour l’adoration sont sympathiquement considérés comme ayant une essence divine. Il n’en est pas ainsi pour les objets rituels, mais beaucoup de dévots les considèrent comme ayant un pouvoir surnaturel.
Les instruments, les mécanismes des rites sont nombreux, comme nous le notons dans les religions modernes et dans les cérémonies fraternelles. À titre d’exemples, citons l’usage de l’eau pour l’aspersion d’une personne ou d’un objet ; les libations d’eau ou de vin ; les oblations de nourriture ; l’élévation des mains dans une position d’adoration ; les génuflexions ; l’acte de souffler dans une corne ; le son des cloches et ainsi de suite…
Beaucoup de rites primitifs furent apotropaïques ; autrement dit, leur principale fonction était de prévenir ou de détourner une force malveillante, tout comme beaucoup de prières aujourd’hui sont des prières d’intercession, c’est-à-dire qui font appel à un pouvoir surnaturel pour détourner le mal. La crainte de la mort était grande chez tous les peuples primitifs. Quand une personne mourait, il existait une pratique primitive qui consistait à brûler tout le village où se trouvait le cadavre pour empêcher son esprit de tourmenter les vivants. Par la suite, des rites d’enterrement se développèrent pour garder l’esprit du mort « fermement enraciné ». Les villages alors, graduellement, créèrent des tombes pour leurs morts.
Des rites et des rituels se développèrent à partir de l’adoration des arbres, des buissons et des brindilles qui était courante chez les peuples primitifs. Par exemple, des membres d’une tribu aborigène d’Australie attachaient des faisceaux de rameaux à différentes parties du corps. Ces rameaux étaient considérés comme sacrés et comme donnant au porteur un pouvoir de guérison. Dans des villages hindous, le rituel de mariage était marqué par la création d’images d’argile représentant le dieu Shiva et la déesse Parvati. Les dévots attachaient alors aux représentations les extrémités des branches fourchues sacrées dont les pointes étaient piquées dans les têtes d’herbes et de fleurs. L’origine des arbres de Noël remonte à l’adoration arboréale que l’on dit avoir débuté dans les tribus d’Europe du Nord.
Maintenant, revenons en Égypte où le ritualisme atteignit un haut état d’ordonnancement formulé, c’est-à-dire de règles rigides. Dans les toutes premières époques de l’Égypte, les dieux avaient une forme et une description simples : les dieux des grandes routes étaient représentés par des poteaux rugueux ou des amas de pierres. La célèbre déesse de Memphis, capitale de l’ancienne Égypte, était Sekhmet qui apparaissait comme une lionne. La déesse Hathor du temple de Denderah était représentée par une vache.
Dans les siècles qui suivirent, il y eut des progrès dans la signification symbolique ; néanmoins les dieux et les déesses gardèrent leur forme.
« Les fastueux seigneurs de l’Empire n’étaient pas impatients de labourer, de semer et de récolter dans les champs heureux de Yaru (l’Après-Monde). Ils voulaient échapper à ce labeur de paysan, et une statuette portant les instruments du travail dans les champs et une inscription d’un charme puissant était placée dans la tombe, assurant ainsi au défunt l’immunité devant un tel labeur qui devait toujours être accompli chaque fois que l’appel aux champs était entendu ». De telles statues servantes sont appelées ushabtis ou dieux « répondants ». Un certain nombre de ces statuettes, qui étaient placées dans les tombes pour accomplir le travail servile dans l’après-monde à la place des seigneurs de la période de l’Empire en Égypte, peuvent être vues au Musée égyptien rosicrucien de San José en Californie.
Des rituels de purification ou de lustration par l’usage de l’eau étaient courants, non seulement en Égypte, mais dans les écoles de mystères de Grèce et de Rome. Le rite de purification par « l’eau sainte » se perpétue aujourd’hui dans de nombreuses sectes religieuses. À Tell el-Amarna, durant le règne d’Akhenaton (XVIIIe Dynastie), il y avait un édifice spécial pour ce rituel, qui était connu comme la « maison du matin ». La construction avait reçu ce nom parce que le rituel était généralement accompli dans la matinée. On employait de l’eau contenant du natron (carbonate de sodium) et un assistant brûlait alors de l’encens dans la pièce.
Les mains étaient considérées comme une partie essentielle dans le rituel de purification. Un papyrus de cette période dit : « Tes mains sont levées… ton ka se lave, ton ka s’assied, il mange du pain avec toi… » (Le ka se distinguait de l’âme, il était le double de l’homme, le moi, ou l’ombre du corps).
Bien que les Babyloniens aient conçu et perpétué un haut degré de culture, ils croyaient que chaque infortune, en particulier la maladie et la mort, était causée par un esprit malveillant, souvent à l’instigation d’un ennemi humain. Des rituels de magie apotropaïque, c’est-à-dire des rites pour détourner de tels esprits mauvais, étaient employés.
L’Église chrétienne primitive fut amenée à croire que ces rites et cérémonies avaient été commandés par Dieu. Dans l’Ancien Testament, les principes étaient contenus sous une forme appropriée aux temps primitifs. Ils étaient à la fois une illustration et une explication.
Les rituels musulmans de purification sont basés avant tout sur le Coran : « Ô croyants, quand vous venez pour accomplir la prière, lavez vos visages et vos mains et allez jusqu’aux coudes… » On suppose que ces rituels furent copiés à partir de sources juives et chrétiennes. Les soufis, une secte mystique islamique, ont des rituels élaborés dont beaucoup sont très inspirants par leur symbolisme.
Il y a une nette distinction entre une simple manière méthodique de procéder et un rituel. Un rituel a des règles particulières et un ordre d’arrangement, mais ses composants ne sont pas de simples outils, ou des actes conduisant à une conclusion finale. Chaque aspect d’un rituel comporte en lui-même une signification symbolique, qu’il soit vocal, comme un chant, ou qu’il soit gestuel comme une génuflexion, l’élévation des bras ou une position donnée du corps. De plus, l’objectif du rituel n’est pas principalement pragmatique, c’est-à-dire qu’il n’a pas en vue une fin matérielle seule, mais plutôt, il se propose d’exprimer un idéal et de fournir une satisfaction émotionnelle correspondante.
Les rituels ne sont pas tous d’origine traditionnelle, se transmettant par des institutions et des organisations. Il y a certaines choses que nous accomplissons tous dans nos vies, non seulement pour un avantage matériel, mais parce qu’elles satisfont nos sentiments et nos émotions les plus élevés. Ces actes, alors, deviennent des symboles de nos pensées et de nos sentiments et nous les répétons à certains moments et en certaines occasions. Nous pouvons ne pas les considérer comme des rituels du fait qu’ils n’ont peut-être aucune connotation religieuse. Néanmoins, ce sont des rituels. Aucun homme n’est dépourvu de ce genre d’action symbolique sous quelque forme que ce soit. »
Ralph Maxwell Lewis – Un Rose-Croix des temps modernes – Tome 2, Diffusion Rosicrucienne.