Note : Depuis cet entretien, Christian Bernard a « passé le flambeau » à Claudio Mazzucco, Imperator et Grand Maître de la juridiction italienne. Cela étant, nous pensons qu’il demeure actuel et présente toujours un intérêt pour ceux et celles qui s’intéressent au Rosicrucianisme.
Cet entretien est extrait d’un hors-série de la revue Actualité de l’Histoire mystérieuse, consacré à la Rose-Croix
Actualité mystérieuse : Christian Bernard, l’A.M.O.R.C., dont vous êtes l’Imperator actuel, c’est-à-dire le responsable mondial, est considéré comme l’héritier de l’authentique Tradition Rose-Croix. Votre Ordre fait remonter ses origines aux Écoles de Mystères de l’Égypte antique. Qu’en est-il exactement ?
Christian Bernard : Tout d’abord, je dois préciser que l’histoire de l’A.M.O.R.C. comporte deux aspects : un aspect traditionnel, qui s’appuie sur une transmission orale et que l’on ne peut prouver, et un aspect historique, que l’on peut authentifier à l’aide de documents d’archives. Pour ce qui est de son aspect traditionnel, l’A.M.O.R.C. fait effectivement remonter ses origines aux Écoles de Mystères de l’Égypte antique. De nos jours, la plupart des historiens et des égyptologues reconnaissent l’existence de ces Écoles, dans lesquelles on étudiait, comme leur nom l’indique, les mystères de l’univers, de la nature et de l’homme. D’après ce que nous savons, certains pharaons en faisaient partie, parfois même en étaient les dirigeants. Tel fut notamment le cas d’Amenhotep IV, plus connu sous le nom d’Akhenaton, qui fut le premier à faire du monothéisme une religion d’État.
Quoi qu’il en soit, nul ne peut nier que l’Égypte est le berceau, non seulement des sciences « physiques » (médecine, astronomie, géométrie, …), mais également des sciences « sacrées », dont l’ésotérisme. En fait, nombre d’ouvrages parus dans les siècles passés en font le point de départ d’une Tradition Primordiale, c’est-à-dire d’une Connaissance absolue que Dieu aurait révélée à certains Élus et qui se serait transmise à travers une filiation d’Initiés : Hermès Trismégiste, Moïse, Zoroastre, Orphée, Pythagore, Jésus, …
A. M. : Puisque vous venez de vous référer à Pythagore, on prétend qu’il aurait étudié dans les Écoles de Mystères égyptiennes. Est-ce exact ?
C. B. : C’est vrai. il y étudia près de vingt ans, avant de retourner dans son pays et de fonder la fameuse école de Crotone. Mais il ne fut pas le seul, car Solon, Thalès, Démocrite, Platon, Plutarque, Jamblique, et bien d’autres penseurs grecs, furent initiés aux Mystères égyptiens. Ces quelques exemples montrent que l’Égypte était le dépositaire d’une sagesse hors du commun. Cette sagesse, cette gnose, s’est répandue ensuite à travers la Grèce, puis la Rome antique et le monde arabe au Moyen-Age. C’est surtout à la Renaissance, après la chute de Constantinople, qu’elle fut introduite en Europe.
A. M. : Bien que traditionnelle, l’origine égyptienne du Rosicrucianisme n’est donc pas un mythe ?
C.B. : Non. Cela dit, l’Égypte n’est pas la seule source traditionnelle du Rosicrucianisme. Dans Silentium post clamores, Michaël Maïer, célèbre Rosicrucien du XVIIe siècle, évoque l’influence que les mystères brahmaniques, éleusiens, pythagoriciens, perses et arabes ont exercée sur la Tradition rosicrucienne. En fait, je pense sincèrement que le Rosicrucianisme intègre les plus grands courants de pensée que l’humanité ait connus, tant en Orient qu’en Occident. Le contenu des enseignements de l’A.M.O.R.C. en est la preuve vivante.
A. M. : Certains historiens de l’ésotérisme, je pense notamment à Serge Hutin, évoquent également l’influence que l’alchimie aurait exercée sur le Rosicrucianisme. Les Rose-Croix étaient-ils des alchimistes ?
C. B. : L’alchimie remonte à l’Égypte antique, mais ce sont les alchimistes grecs et arabes qui l’ont introduite en Europe, où elle était particulièrement active au Moyen-Age. A cette époque, et contrairement à ce que l’on pense, ceux qui la pratiquaient n’étaient pas des chercheurs isolés. La plupart appartenaient à des sociétés secrètes, notamment à celle qui se fera connaître au XVIIe siècle sous le nom d’Ordre de la Rose-Croix. Il en résulte que l’alchimie exerça effectivement une influence sur ce qui allait devenir le Rosicrucianisme. Dans cet ordre d’idée, il est à noter qu’à partir du XVIIe siècle, certains alchimistes symbolisèrent l’étape ultime du Grand Oeuvre par une rose rouge épanouie.
A. M. : Sur le plan strictement historique, l’origine du Rosicrucianisme remonte bien au XVIIe siècle ?
C. B. : Oui. On peut considérer que c’est avec la parution des trois célèbres Manifestes, en l’occurrence la « Fama Fraternitatis » (1614), la « Confessio Fraternitatis » (1615) et les « Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz » (1616), que les Rose-Croix firent connaître leur existence au public. Comme le confirme Antoine Faivre, historien de l’ésotérisme, c’est au XVII e siècle que la Tradition occidentale, héritière de la Tradition Primordiale, connut son renouveau historique en prenant corps dans le Rosicrucianisme.
A. M. : Peut-on considérer que c’est à cette époque que sont apparus le mot « Rose-Croix » et le symbole correspondant ?
C. B. : En fait, il est possible, sinon probable, que le terme et le symbole Rose-Croix aient été utilisés au cours des siècles précédents. Dans son « Liber resurrectione et corporum glorificatione », Paracelse évoque en 1533 le symbolisme de la Rose et de la Croix. Par ailleurs, il semblerait qu’Arnaud de Villeneuve s’y réfère dès le XIIIe siècle dans « Rosarium Philosophorum ». Ce pourrait être la référence historique la plus ancienne à la Rose-Croix.
A. M. : Certains historiens prétendent que les Manifestes rosicruciens circulaient sous forme de manuscrits avant les dates que vous avez indiquées. Qu’en pensez-vous ?
C. B. : C’est tout-à-fait possible. D’après la lettre d’Adam Haselmayer, publiée dans la « Fama », le premier Manifeste circulait sous forme de manuscrit dans le Tyrol en 1610. Quoi qu’il en soit, la publication « officielle » des trois Manifestes eut un retentissement considérable. Savez-vous qu’à la suite de cette publication, des centaines de livres furent publiés à propos de la Rose-Croix ? W.E. Peuckert a recensé environ 400 titres pour les seules années allant de 1614 à 1620.
A. M. : La «Fama Fraternitatis» présente Christian Rosenkreutz comme le fondateur de l’Ordre de la Rose-Croix. Qu’en dites-vous ?
C. B. : Il suffit de lire la « Fama » pour comprendre qu’il s’agit d’un texte symbolique. Par extension, les Rosicruciens actuels sont convaincus que Christian Rosenkreutz est un personnage allégorique. Il ne peut donc s’agir du fondateur de l’Ordre de la Rose-Croix. En fait, comme je l’ai indiqué précédemment, l’Ordre existait déjà depuis très longtemps, mais pas encore sous ce nom, tout du moins officiellement.
A. M. : Connait-on précisément l’auteur ou les auteurs des trois Manifestes rosicruciens du XVIIe siècle ?
C. B. : Harvey Spencer Lewis, Imperator de l’A.M.O.R.C. de 1915 à 1939, pensait que ces Manifestes furent écrits par Francis Bacon, auteur de la « Nouvelle Atlantide ». Cela dit, la plupart des historiens actuels s’accordent à dire qu’ils sont l’œuvre d’un groupe de Rose-Croix : le Cercle de Tübingen. Ce Cercle comprenait une vingtaine de personnalités remarquables, parmi lesquelles Jean Valentin Andreae, Tobias Hess, Christophe Besold, Johann Arndt, …, tous passionnés d’alchimie, de kabbale et de mystique chrétienne. Les Manifestes seraient donc une oeuvre collégiale. C’est l’avis, entre autres, de Roland Edighoffer, spécialiste de l’histoire des Rose-Croix.
A. M. : Pouvez-vous nous donner les noms de personnages célèbres ayant marqué l’histoire du Rosicrucianisme ?
C. B. : Ils sont relativement nombreux. De mémoire, je citerai entre autres Robert Fludd, Francis Bacon, Élias Ashmole, Michaël Maïer, auquel je me suis déjà référé, Coménius, Cagliostro, Descartes, … Et plus près de nous, Érik Satie, Claude Debussy, Nicholas Roerich, François Jollivet Castelot, … De nos jours, l’A.M.O.R.C. compte toujours parmi ses membres des Rosicruciens célèbres, mais il ne m’appartient pas d’en révéler l’identité.
A. M. : Le cycle actuel de l’A.M.O.R.C. remonte à 1909, date à laquelle Harvey Spencer Lewis oeuvra à la résurgence de l’Ordre de la Rose-Croix aux États Unis. Où et par qui fut-il initié ?
C. B. : H. Spencer Lewis s’est intéressé très jeune à l’ésotérisme. Dès l’âge de 19 ans, il participa à des recherches portant sur les facultés paranormales. Il se tourna ensuite vers la philosophie et les sciences dites « occultes ». En 1907, il fit la connaissance d’une femme qui lui parla de la Rose-Croix : May Bank Stacey. Il fut particulièrement intéressé. Alors débuta pour lui une longue recherche qui l’amena en France en 1909, à Toulouse, où il fut initié dans l’Ordre.
A. M. : Où se déroula son initiation ?
C. B. : C’est dans la Salle des Illustres du Capitole que H. Spencer Lewis rencontra celui qui le mit en contact avec les responsables français de l’Ordre. D’après nos recherches, cet intermédiaire serait un certain Clovis Lasalle. Quant à l’initiation elle-même, elle se déroula dans un château situé dans les environs de Toulouse. Nous possédons dans nos archives quelques documents très intéressants sur le séjour que H. Spencer Lewis passa dans cette région. Parmi ces documents figure la lettre qu’il adressa à sa femme le lendemain de son initiation.
A. M. : La Rose-Croix était donc présente à Toulouse à cette époque ?
C. B. : Oui. En fait, dès 1860, le Vicomte de Lapasse parle lui-même des « Rose-Croix, société secrète dont il reste de nos jours quelques adeptes ». En 1890, Simon Brugal, évoquant le Vicomte de Lapasse, précise que celui-ci fut un élève du Prince Balbiani à Palerme, un disciple de Cagliostro. Selon Brugal, Lapasse aurait été initié en Bavière par des disciples du Baron d’Eckartshausen.
Pour en revenir à H. Spencer Lewis, non seulement il fut initié à Toulouse, mais il fut également mandaté pour réactiver l’Ordre de la Rose-Croix sur le continent américain et mettre par écrit les enseignements rosicruciens. En effet, ils étaient transmis jusqu’alors uniquement de bouche à oreille. Il reçut pour cela les documents, chartes et archives nécessaires. Malgré les difficultés rencontrées, il mena à bien cette mission et s’y consacra sans relâche jusqu’à sa mort, en 1939.
A. M. : Mais pourquoi les Rose-Croix d’Europe confièrent-ils à un Américain la mission de réactiver l’Ordre de la Rose-Croix. Cette résurgence ne pouvait-elle pas se faire en Europe ?
C. B. : Il faut croire que les Rose-Croix d’Europe avaient prévu la Première Guerre mondiale et savaient tous les bouleversements qui en résulteraient. Ils ont donc fait preuve d’une grande sagesse en confiant les archives de l’Ordre à H. Spencer Lewis, évitant ainsi qu’elles soient détruites ou perdues dans la tourmente. Les faits ont également prouvé que le continent américain, contrairement à l’Europe, a été épargné par le conflit.
A. M. : Comment l’Ordre s’est-il réinstallé en France au début du XXe siècle ?
C. B. : Dès 1909, H. Spencer Lewis œuvra au développement de l’Ordre aux États-Unis et commença à mettre par écrit les enseignements rosicruciens, et ce, comme je viens de le préciser, à partir des documents qui lui avaient été confiés par les Rose-Croix de France. Lorsque la paix fut revenue, tout était prêt pour réactiver l’Ordre en Europe. C’est ainsi que H. Spencer Lewis vint en France en 1926 et confia à des Rosicruciens français, dont certains étaient également Francs-Maçons, le soin de créer des Loges rosicruciennes, ce qui fut fait à Paris et à Nice entre 1927 et 1928. C’est d’ailleurs parmi les Rosicruciens de la Loge de Nice que fut choisi le premier Grand Maître pour le nouveau cycle de l’Ordre en France, à savoir Hans Grüter.
Malheureusement, la Seconde Guerre Mondiale éclata et provoqua la mise en sommeil provisoire de l’Ordre, d’autant plus que le gouvernement de Vichy interdit les activités des Ordres traditionnels. D’autre part, les Rosicruciens de l’époque, comme d’autres minorités, furent victimes du nazisme. Certains payèrent même de leur vie leur attachement à l’idéal Rose-Croix. Il fallut attendre le 1er janvier 1949 pour que l’A.M.O.R.C. redevienne actif en France et se développe sous la conduite de Jeanne Guesdon. Elle sera d’ailleurs nommée Grand Maître, fonction qu’elle assumera jusqu’à sa mort, en 1955.
A. M. : Apparemment, il y avait des liens entre la Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie au début du siècle. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
C. B. : Il y a des liens traditionnels et historiques incontestables entre ces deux Organisations. D’ailleurs, lorsque H. Spencer Lewis est venu en France en 1927, il fut invité à une tenue maçonnique réservée au 18edegré (degré de « Chevalier Rose-Croix »). Comme l’atteste un document que nous possédons dans nos archives, il fut reçu avec les honneurs dus à son rang par Camille Savoire, Grand Commandeur du Grand Collège des Rites du Grand Orient de France, qui lui souhaita la bienvenue au nom de tous les frères présents, avant de le prier de prendre place à l’Est du Temple.
De nos jours, l’Ordre de la Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie poursuivent leurs activités respectives dans une totale indépendance, ce qui n’empêche qu’il y ait des Rosicruciens francs-maçons et des Francs-Maçons rosicruciens. Dans le même ordre d’idée, il y a des Rosicruciens chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes, etc. En cela, l’A.M.O.R.C. est ouvert à toutes les catégories sociales et à toutes les confessions religieuses, sa vocation première étant la philosophie.
P. R. : Ceux qui s’intéressent à l’ésotérisme en général et au rosicrucianisme en particulier connaissent l’existence de l’A.M.O.R.C., mais ignorent en grande partie sa structure et son fonctionnement. Pouvez-vous nous en parler plus précisément ?
C. B. : C’est donc en 1909, il y a près d’un siècle, que l’A.M.O.R.C. a commencé son cycle actuel d’activité. De nos jours, il s’étend au monde entier et comprend 18 juridictions de langue. C’est ainsi qu’il existe une juridiction allemande, anglaise, espagnole, française, grècque, italienne, japonaise, nordique, portugaise, russe, etc. Chaque juridiction, désignée sous le nom traditionnel de « Grande Loge », est dirigée par un Grand Maître. J’en profite pour vous dire que celui-ci est élu à sa fonction pour un mandat renouvelable de 5 ans.
P.R. : En quoi consiste la fonction de Grand Maître ?
C. B. : Durant son mandat, chaque Grand Maître a pour rôle de répondre au courrier que les membres de l’Ordre lui adresse, de les recevoir pour un entretien lorsqu’ils en manifestent le désir, de superviser les travaux tenus dans les Loges, de présider des congrès rosicruciens sur un plan national ou régional, de diriger des séminaires internes sur les enseignements rosicruciens, de présenter des conférences publiques, d’écrire des textes philosophiques, voire des livres, etc.
P.R. : Et vous, quelle est votre fonction en tant qu’Imperator ?
C. B. : Il faut d’abord préciser que le terme « Imperator », tel qu’il est employé dans l’A.M.O.R.C., ne veut pas dire « Empereur », comme on pourrait le croire. Sur le plan traditionnel, il provient du latin « Imperare sibi », qui signifie « Maître de soi ». D’après ce que nous savons, ce titre symbolique était employé dès la fin du XVIIe siècle pour désigner le plus haut responsable de l’Ordre de la Rose-Croix.
Avant d’être élu à la fonction d’Imperator par le Conseil Suprême de l’A.M.O.R.C., j’étais Grand Maître de la juridiction francophone. Mon rôle actuel consiste à superviser le fonctionnement de toutes les Grandes Loges et à veiller à ce que les règles traditionnelles et administratives de l’Ordre soient appliquées correctement dans le monde entier. Par ailleurs, je me tiens à la disposition de chaque Grand Maître pour l’aider dans sa tâche au service des membres.
L’A.M.O.R.C. étant fondé sur une hiérarchie de fonctions et non de personnes, il est arrivé dans le passé qu’un Imperator ou un Grand Maître soit destitué, car il ne remplissait pas les devoirs qui lui incombaient et n’accomplissait pas le travail que les membres attendaient de lui. En cela, comprenez bien que les dirigeants de l’Ordre ne le sont pas pour leur “gloire” personnelle.
P. R. : Vous avez parlé du Conseil Suprême. En quoi consiste-t-il ?
C. B. : Le Conseil Suprême de l’A.M.O.R.C. est formé de tous les Grands Maîtres et de l’Imperator, ce qui fait un total de 19 personnes de nationalités différentes. Ce Conseil se réunit au moins une fois par an sur l’un des continents, afin de faire le point sur les activités rosicruciennes tenues dans chaque juridiction. C’est également au cours de ces réunions que sont prises en commun des décisions concernant le fonctionnement général de l’Ordre.
P. R. : Certains considèrent l’A.M.O.R.C. comme une société secrète. Qu’auriez-vous à leur dire ?
C. B. : Qu’ils se trompent. Il est vrai que l’Ordre de la Rose-Croix menait jadis ses activités dans le plus grand secret, afin de protéger ses membres contre les persécutions religieuses et politiques. Mais depuis le début du XXesiècle, l’A.M.O.R.C. fonctionne plutôt comme une Organisation discrète, en ce sens qu’il ne cherche pas à attirer l’attention du grand public, mais ne cache pas non plus son existence. Il tient d’ailleurs régulièrement des conférences, afin d’expliquer ce qu’il est et n’est pas aux personnes intéressées par la philosophie et la spiritualité.
P.R. : Quel est le profil type du Rosicrucien ?
C. B. : Il n’y en a pas. L’A.M.O.R.C. n’étant pas une religion, il compte parmi ses membres des Chrétiens, des Juifs, des Bouddhistes, des Musulmans, etc., et même des personnes n’ayant aucune religion particulière. Étant apolitique, il regroupe des Rosicruciens représentatifs de tous les courants politiques classiques. Ne faisant aucune discrimination raciale, il réunit des hommes et des femmes de toute nationalité. En cela, l’Ordre est une fraternité mondiale dont la composition traduit par elle-même le caractère humaniste de ses idéaux. Quiconque s’intéresse à la philosophie spiritualiste peut donc en devenir membre.
P.R. : Bien que l’A.M.O.R.C. soit ouvert à toutes les religions, ses enseignements n’ont-ils pas une connotation plutôt chrétienne ?
C. B. : Non, les enseignements rosicruciens n’accordent pas une primauté particulière à Jésus ou au Nouveau Testament, ni au credo chrétien en général. Cela dit, on étudie dans l’un des degrés de l’Ordre l’ésotérisme des grandes religions, dont le Christianisme. Cela permet à chaque membre de comprendre en quoi elles ont toutes puisé à une source commune, en l’occurrence la Tradition Primordiale. De surcroît, il est expliqué dans ce même degré que toutes sont respectables en tant que vecteurs de la spiritualité. En fait, s’il fallait rapprocher l’A.M.O.R.C. de l’une des grandes religions existantes, ce serait plutôt du Bouddhisme, ne serait-ce que parce qu’il s’agit davantage d’une philosophie que d’une religion.
P.R. : Dans le même ordre d’idée, certains pensent que l’A.M.O.R.C. est une Organisation templière. Est-ce le cas ?
C. B. : Non. Comme je viens de vous le dire, l’A.M.O.R.C. n’accorde aucune primauté au Christianisme, ce que faisait l’Ordre du Temple au Moyen-Age. De même, il n’œuvre pas à la sauvegarde de la foi chrétienne, ce que font la plupart des mouvements templiers actuels. Cela dit, il ne fait aucun doute que les enseignements rosicruciens intègrent des notions ésotériques que les Initiés templiers connaissaient. Par ailleurs, les Rosicruciens poursuivent un idéal éthique qui rappelle celui des Chevaliers d’antan, en ce sens qu’ils s’efforcent d’être aussi vertueux que possible dans leur comportement. C’est d’ailleurs cet idéal éthique que symbolise le fameux « Chevalier à la Rose ».
P. R. : L’A.M.O.R.C. étant mondial, cela veut-il dire que les enseignements qu’il dispense sont les mêmes dans le monde entier ?
C. B. : Oui. Dans les siècles passés, les enseignements rosicruciens étaient transmis uniquement de bouche à oreille, dans des lieux tenus secrets. Depuis le début du XXe siècle, ils se présentent sous l’aspect de monographies couvrant douze degrés, envoyées aux membres à raison de quatre par mois. Chaque Rosicrucien étudie les mêmes monographies dans la langue qui lui est propre.
P. R. : De quoi traitent les différents degrés de l’Ordre ?
C. B. : Il m’est impossible de répondre à cette question d’une manière exhaustive. Disons que chaque membre de l’Ordre est initié de degré en degré à des sujets philosophiques et mystiques majeurs : les origines de l’univers, la structure de la matière, les notions de temps et d’espace, les lois de la vie, le but de l’évolution, l’âme humaine et ses attributs, les phases de la conscience, les phénomènes psychiques, les mystères de la naissance et de la mort, l’après-vie et la réincarnation, l’alchimie spirituelle, le symbolisme traditionnel, etc.
Je dois préciser également que parallèlement à l’enseignement écrit que les membres reçoivent chez eux, ils peuvent se rendre dans une Loge de l’Ordre pour participer à des travaux qui perpétuent l’aspect oral de la Tradition rosicrucienne. Durant ces réunions, les Rosicruciens présents étudient ensemble des entretiens philosophiques.
P. R. : Y-a-t-il des initiations dans l’A.M.O.R.C. ?
C. B. : Bien sûr. C’est précisément pour cette raison qu’il s’agit d’une Organisation véritablement traditionnelle et initiatique. Étant donné qu’il y a douze degrés dans l’A.M.O.R.C., il y a douze initiations. Chacune d’elles consiste en un rituel symbolique ayant pour but d’introduire le candidat dans le nouveau degré qu’il est sur le point d’étudier. Naturellement, elles n’ont aucun caractère sectaire, dogmatique ou occulte. Je dois préciser également qu’elles ne sont pas obligatoires.
Considérant que le plus grand Initiateur est le Maître Intérieur de chacun, c’est-à-dire l’Ame divine qui est en lui, tout membre de l’Ordre peut recevoir les initiations rosicruciennes chez lui, en effectuant lui-même le rituel correspondant, ou dans une Loge, en présence d’autres candidats et dans toute sa pureté traditionnelle.
P. R. : Le Rosicrucianisme est parfois associé au Martinisme. Que faut-il en penser ?
C. B. : Le Martinisme est un courant de pensée qui remonte à Louis-Claude de Saint-Martin, grand philosophe français du XVIIIe siècle, et dont les enseignements portent sur l’ésotérisme judéo-chrétien. Ce courant de pensée a donné naissance à l’Ordre Martiniste, créé par Papus et Augustin Chaboseau en 1889. En 1931, cet Ordre s’est restructuré pour donner naissance à l’Ordre Martiniste Traditionnel, parrainé de nos jours par l’A.M.O.R.C. C’est ainsi que certains Rosicruciens sont aussi Martinistes.
A. M. : Christian Bernard, nous arrivons à la fin de cet entretien. Avez-vous quelque chose à dire en guise de conclusion ?
C. B. : Comme vous pouvez le constater, l’A.M.O.R.C. est une organisation ésotérique sérieuse dont les origines, tant historiques que traditionnelles, sont très anciennes. A l’aube du IIIe millénaire, les enseignements qu’il perpétue sont toujours d’actualité et véhiculent une philosophie dont l’humanité a grand besoin. C’est pourquoi le moment est peut-être venu pour les Rose-Croix de se faire mieux connaître. Vous m’en avez donné la possibilité à travers cet entretien, et je vous en remercie sincèrement.