SECTION ÉGYPTOLOGIE
par Christian Larré, extrait de « L’héritage spirituel de l’ancienne Égypte« , édition Diffusion Rosicrucienne.
« Ce livre, consacré à la civilisation des anciens Égyptiens, n’a pas la prétention de faire avancer la connaissance en apportant des éléments nouveaux, des découvertes récentes et inédites, des révélations fracassantes. L’objectif de cet ouvrage est différent ; il souhaite simplement proposer une autre approche de cette civilisation, une approche globale et vitale, basée sur une démarche essentiellement déductive.
En effet, le panthéon égyptien, au crépuscule de la civilisation, comprenait environ deux mille divinités différentes. Essayer de comprendre cette religion en étudiant individuellement chacun de ces dieux est totalement utopique. Une telle démarche, qui procède du particulier et tente de remonter vers le général, n’a aucune chance d’aboutir à une vision globale et cohérente. Elle conduit le chercheur à se fourvoyer au milieu d’un fatras de mythes et de légendes en apparence totalement incompatibles. Certes, notre savoir s’enrichit dans une telle recher che, mais savoir, même beaucoup de choses, ne veut pas dire comprendre. C’est ce qui a fait dire au grand égyptologue du début du siècle, Jean Capart, cette phrase restée célèbre : «On connaît tout de la religion égyptienne, tout, sauf son âme».
Ce livre, au contraire, part d’un cadre général qui est constitué par le milieu naturel et étudie les différents aspects de la civilisation à partir de ce point de vue. Cette approche déductive qui est tout à fait conforme à l’esprit égyptien, permet de mettre en lumière les liens subtils qui tissent une toile de cohérence derrière cet apparent désordre.
L’Égypte est un sujet à la mode, une mode qui dure. Ceci nous conduit à nous interroger sur les origines et la nature de cet engouement. La civilisation de l’ancienne Égypte a de tout temps fasciné les hommes. Cet attrait n’est pas né du hasard. Il tire ses origines du nombre et de la magnificence des vestiges qu’elle nous a laissés. Un bref rappel historique est nécessaire pour tenter d’analyser ce phénomène.
L’Égypte historique apparaît vers 3200 avant J.-C. et disparaît en tant qu’entité culturelle indépendante vers 337 après J.-C. C’est donc environ 3 500 ans de l’histoire d’une partie de l’humanité qui se cachent ou se révèlent à travers cette civilisation de l’Antiquité. Un décret de l’empereur romain Théodose Ier au quatrième siècle après J.-C. qui interdit la pratique des rites païens et impose le christianisme comme religion dans tout l’empire met un terme définitif à la culture pharaonique. En effet, l’enseignement de toutes les disciplines de la connaissance, et en particulier celui de la langue qui en constitue l’ossature, était pratiqué exclusivement au sein du Temple égyptien. Ce Temple, véritable institution, constituait donc la source unique, le gardien exclusif et le seul dispensateur du savoir accumulé par tant de générations. En fermant les temples de pierre, siège du Temple en tant qu’institution, les Romains ont tranché le lien physique qui vitalisait cette civilisation. Ils ont séparé l’arbre de ses racines, condamnant celui-ci à une mort programmée par épuisement de la sève nourricière.
Quelques années après cette décision, la langue égyptienne traditionnelle n’étant plus enseignée, elle disparut dans l’oubli. La langue officielle devint le copte. Elle a été constituée sur la base de l’alphabet grec auquel ont été ajoutées sept lettres supplémentaires nécessaires pour rendre toutes les sonorités du langage hiéroglyphique. Le copte devint donc la langue des chrétiens d’Égypte et demeura en usage jusqu’en 641, date de l’arrivée de l’Islam sur les rives du Nil. A partir de ce moment-là, c’est l’arabe qui devint la langue officielle du pays. Le copte survit toutefois au sein d’une petite communauté de chrétiens qui l’utilisent comme langue liturgique. Le copte demeura longtemps la langue sacrée des chrétiens d’Orient, à l’instar du latin utilisé par les chrétiens d’Occident.
A son tour, ce langage va disparaître progressivement de la liturgie chrétienne au profit de langues modernes. Toutefois, il subsiste aujourd’hui dans certaines églises coptes, et il est encore possible d’entendre ses rudes sonorités lors de certains offices religieux célébrés dans l’église copte de Paris.
A partir du moment où la connaissance des hiéroglyphes se perd, personne n’est plus capable de comprendre ces étranges signes gravés en grand nombre sur ces vestiges impressionnants qui jalonnent la vallée du Nil. Les récits des voyageurs grecs de l’Antiquité, tels Solon, Hérodote, Plutarque, Horapolon et bien d’autres, seront les seuls témoignages accessibles à la compréhension des hommes.
Une autre source très importante pour la connaissance de cette civilisation est l’Ancien Testament. Ce livre saint constitue le credo du peuple hébreu, dans lequel le récit de la sortie d’Égypte est considéré comme l’acte de naissance de la nation juive. Cette épopée tient beaucoup plus du mythe que de l’histoire et constitue en tout cas le mythe fondateur d’Israël en tant que nation.
L’Égypte est présentée dans cet ouvrage sous un jour très sombre. N’est-elle pas le pays de l’oppression ? A ce titre, elle incarne le mal. Pour Moïse et son peuple, quitter l’Égypte correspond à la première étape d’une longue quête qui doit conduire les enfants d’Israël vers le Terre Promise.
Ce texte est très symbolique. Malheureusement, les symboles qu’il renferme ont trop souvent été lus au premier niveau et interprétés uniquement sur le plan historique. Cette vision négative de l’Égypte qui se dégage de l’Ancien Testament influencera profondément et de manière durable l’ensemble de la pensée occidentale.
Il faut attendre 1822, date à laquelle Jean-François Champollion retrouva la clef de cette langue perdue. Cette clef ouvrira la porte fermée depuis plus de mille ans et tirera de sa longue léthargie “la Belle au Bois Dormant”. Mais ce long sommeil fut peuplé de rêves. Les hommes sont ainsi faits : à l’image de la nature, ils ne supportent pas le vide ; ce qu’ils ne peuvent savoir, comprendre et connaître, ils l’imaginent, ils le créent mentalement. Cet imaginaire, peu à peu, occupe la place vide et se perpétue sous la forme de légendes qui finissent par se confondre avec l’histoire. C’est par ce phénomène de projection qu’est née, a grandi et s’est perpétuée la fascination des Modernes pour cette civilisation antique. Comme l’expriment avec beaucoup de lucidité Dimitri et Christianne Meeks : «On cherche moins à connaître l’Égypte qu’à se reconnaître en elle». Cette civilisation qui nous a laissé tant de grandioses témoignages architecturaux évoque dans l’inconscient de l’homme moderne, un respect, une admiration, parfois même de la vénération. En effet, pour concevoir l’architecture à une échelle aussi grandiose et construire de telles merveilles, il fallait bien sûr une organisation, des compétences et des moyens techniques. Ces trois conditions ne pouvaient être réunies que dans une société solidement structurée et parfaitement organisée, une société idéale en quelque sorte.
L’homme, consciemment ou inconsciemment, est toujours en quête d’un idéal. Cette quête est d’autant plus frénétique que l’époque dans laquelle il vit est sombre. C’est ainsi que pour fuir une réalité trop terne, trop noire ou trop dure, l’homme s’invente un paradis futur qui n’est que le reflet sublimé d’un imaginaire Age d’Or passé. Cette soif d’idéal dépasse souvent les limites du raisonnable, bouscule la logique et conduit à l’irrationnel. Nous verrons par ailleurs dans ce livre que déjà les anciens Égyptiens de l’époque des grandes pyramides avaient la nostalgie d’un Age d’Or qui existait à l’origine des temps, quand l’homme et les dieux vivaient encore ensemble.
Les premiers égyptologues, qui, à la suite de Champollion, vont étudier les textes de l’ancienne Égypte, ne vont pas trouver ce monde idéal qu’ils étaient sensés révéler, mais un fatras incompréhensible de textes magiques où se mêlent rites religieux et superstition grossière. L’égyptologie naissante doit donc détruire des clichés populaires avant de reconstruire une connaissance scientifique. Cette phase de destruction ira très vite et très loin, on peut même dire trop vite et trop loin, car elle va conduire l’égyptologie naissante à rejeter toute la spiritualité égyptienne, la qualifiant de pure superstition. Ce n’est qu’avec le temps et à force d’accumulation de connaissances liées à un nombre croissant de traductions, mais surtout à l’amélioration de la qualité de ces traductions, que l’image de cette antique civilisation se précise et s’affine.
Des égyptologues modernes, s’appuyant sur des textes traduits à la lettre, s’attellent peu à peu à en pénétrer l’esprit. C’est ainsi que tout ce fatras de mythes et de légendes divines s’organise selon une logique, certes non cartésienne, mais qui dépasse de très loin la simple superstition. Aujourd’hui, on parle d’une logique à normes multiples (Éric Hornung) ou d’une logique vitale (Schwaller de Lubicz). De cette approche, se dégagent des idées fortes qui émergent insensiblement, mais inéluctablement. Ces idées se résument en deux mots clefs : Ordre et Chaos. Ces deux termes constituent l’opposition fondamentale qui va rythmer toute la civilisation égyptienne antique. En effet, nous allons voir dans les chapitres suivants que le développement de cette civilisation au fil du temps se fait selon un rythme particulier présentant des oscillations que l’on pourrait qualifier de positives et négatives, de part et d’autre d’un axe central neutre, véritable ligne d’équilibre. Cette conception dualiste du monde est à l’origine de tous les mythes fondateurs de la civilisation des pharaons. Elle plonge ses racines au coeur même de l’univers égyptien et de sa géographie si particulière. Ces mythes fondateurs, qui constituent une tentative d’explication du monde, marquent très fortement cette civilisation. Ils projettent leur conception dualiste dans tous les domaines de l’activité humaine dans la vallée du Nil. Dans la religion, cette dualité sera manifestée notamment par la lutte incessante entre Horus et Seth, et par l’union cyclique d’Isis et d’Osiris.
Dans ce livre, nous verrons comment l’histoire et le mythe se mêlent étroitement et se confondent très souvent. Pour tenter de démêler cet écheveau, nous puiserons à toutes les sources disponibles sans en rejeter aucune a priori. En effet, les écrits religieux des anciens Égyptiens véhiculent des images symboliques inaccessibles à la seule raison. Ces images ne peuvent se révéler à l’homme qu’à la lumière de l’intuition, car elles procèdent d’une autre logique. Nous ferons donc également appel aux sources des Traditions ésotériques qui perpétuent souvent de manière allégorique des grands principes naturels, et parfois même de profondes vérités historiques. Nous n’hésiterons pas à confronter les connaissances de l’égyptologie scientifique avec celle des récits traditionnels. Nous verrons d’ailleurs que souvent ces deux approches s’éclairent mutuellement et se complètent harmonieusement. La science s’appuie sur des faits qu’elle analyse finement. La Tradition, par le biais du symbole ou de l’allégorie, stimule la compréhension intuitive et favorise une vision synthétique, globale.
Nous utiliserons également les connaissances de la psychologie dans notre recherche. Très rapidement en effet, nous serons confrontés à des problèmes métaphysiques inhérents à l’âme humaine. La psychologie qui étudie la psyché pourra nous éclairer sur la nature et l’origine des mythes et des allégories de la vallée du Nil. Le langage symbolique qu’ils utilisent plonge ses racines au plus profond de l’homme, bien au-delà de sa conscience objective. Les rêves qui éclairent ou qui hantent les hommes sur toute la surface de la terre sont étrangement semblables ; on a la curieuse impression que leurs échos qui se répondent ont une source commune. Ils correspondent en effet aux images archétypales qui sommeillent au plus profond de l’âme humaine et participent de l’inconscient collectif de l’humanité.
L’Égypte a révélé en son temps et à sa manière une partie, un aspect de ce patrimoine secret. Cette révélation, à l’aube des temps historiques, a permis d’écrire les premières pages de ce que nous nommerons symboliquement le Livre de l’Homme. Pour écrire ces pages, la méditation égyptienne a puisé son inspiration dans son univers naturel. En ce sens, l’Égyptien est avant tout un étudiant du Livre de la Nature dans les pages duquel il recherche les mystères de la vie.
L’étude de la civilisation de la vallée du Nil et de son évolution à travers le temps nous permet de suivre pas à pas l’émergence et le développement de la conscience individuelle au sein d’un groupe humain particulier.
A travers ce livre, nous verrons les différentes étapes qui jalonnent la longue route de l’homme primitif vers son état d’homme moderne. Ce regard porté sur ce passé prestigieux doit nous permettre de mieux appréhender notre avenir, car en fait, nous ne sommes pas au bout du chemin. L’homme, en effet, à trop tendance à penser qu’il écrit toujours la dernière page de son histoire. C’est sûrement pour cela d’ailleurs qu’il est souvent incapable de tirer la leçon de l’histoire. »
Extrait de « L’héritage spirituel de l’ancienne Égypte » par Christian Larré, édition Diffusion Rosicrucienne.