N° 289 - Printemps 2024
- Le sentier mystique, par C. Mazzucco, Imperator
- Gottfried-Wilhelm Leibniz, Harmonie et science, par A. Marbeuf
- Un confinement aux temps bibliques avec Rabbi Yohaï, par J. Chourry
- L’Aventure de la conscience, par P. Deschamps
- La Création, par J. Roberge
- Toi et moi, par Jean Pierre
N° 290 - Été 2024
- La renaissance de Notre-Dame, par S. Devaux
- Mythes : nature, origine et fonctions, par M. Sainte-Rose-Fanchine
- Dans nos mains, par F. Ramos
- Marie de Magdala Sacrée femme, Femme sacrée, par A. Gournet
- Notre rapport au temps, par Y. Gaborit
- Documents d’Archives de l’A.M.O.R.C. : Les Confessions de Napoléon
N° 291 - Automne 2024
- La chevalerie universelle, par J.-P. Deterville
- L’illusionnisme et ses rapports avec l’ésotérisme traditionnel, par C. Mira
- EMI et Conscience, par T. Becker et C. Baratte
- Imagination – Imaginaire – Imaginal, par M. Auzas-Mille
- Documents d’Archives de l’A.M.O.R.C. : Prédictions & prophéties – [Vaticinia sive Prophetiae…], J. de Flore
N° 292 - Hiver 2024
- Cendrillon et ses déclinaisons multiples, par J. Chourry
- L’émergence du Maître intérieur selon l’Apocalypse de Jean, par P. Deschamps
- L’orientation solaire des sites sacrés, par P-Y. Lachambre
- Les quatre Nobles Vérités du bouddhisme, par F. Baylot
- Musique et décadence à la fin du XIXe siècle, par M. Roiné
- Le personnage, par A. Willm
Cendrillon et ses déclinaisons multiples
par Josselyne Chourry Conférencière de l’U.R.C.I.
Il existe des versions antiques de ce conte et notamment une légende contée par le géographe grec Strabon (vers – 60 / vers an 20) à propos de la pyramide de Mykérinos dont voici la traduction : « Un jour, comme elle était au bain (une courtisane nommée Rhodopis) , un aigle enleva une de ses chaussures des mains de sa suivante, et s’envola vers Memphis où, s’étant arrêté juste au-dessus du roi qui rendait alors la justice en plein air dans une des cours de son palais, il laissa tomber la sandale dans les replis de sa robe. Les proportions mignonnes de la sandale et le merveilleux de l’aventure émurent le roi ; il envoya aussitôt par tout le pays des agents à la recherche de la femme dont le pied pouvait chausser une chaussure pareille ; ceux-ci finirent par la trouver dans la ville de Naucratis ; et l’amenèrent au roi qui l’épousa et qui, après sa mort, lui fit élever ce magnifique tombeau (Mykérinos) » (Extrait de « Géographie »).
Cet extrait démontre une fois de plus la capacité d’adaptation des contes et légendes souvent colportés oralement de sites en contrées et de pays en continents. Des similitudes sont attestées dans un ouvrage chinois du IXe siècle et un homme politique, par ailleurs poète et ethnologue, Adhémard Leclère (1853-1917), alors qu’il était administrateur colonial au Cambodge, collecta des contes et écrivit sur une Cendrillon version cambodgienne et version annamite, intitulé à l’origine « Le conte de Cendrillon chez les Chams et autres contes du Cambodge » (Voir Bibliographie).
Mais en Europe, c’est le poète et écrivain italien Giambattista Basile (1583-1632) qui dans son ouvrage le « Pentamerone » présente entre autres « La Gatta cenerentola » (La Chatte des cendres) dont nous trouvons l’écho chez Charles Perrault et les frères Grimm avec Cendrillon. Le Pentamerone est un recueil de 49 contes structurés en périodes de 5 jours. Le conte « La Gatta cenerentola » fait partie de la « Giornata prima » (Journée 1).
La version de Perrault commence par la phrase rituelle « Il était une fois… » et, « une fois de plus » devrions-nous dire, voici venir tous les ingrédients du conte ; le père aimant et la jeune orpheline, puis la venue d’une marâtre qui « ne put souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant ». La mère de Cendrillon est donc morte.
La mort est omniprésente dans les contes et fait partie d’un narratif évasif, suggéré, avec une situation simplifiée, car les contes n’analysent pas les problèmes existentiels. La mort est citée comme une évidence afin que le récit puisse entrer dans le vif du sujet et mettre en scène la suite. Les personnages ont tous un rôle symbolique et « c’est ainsi ! ». L’enfant à qui on lit un conte, pose rarement des questions complexes et entre de plain-pied dans le récit. D’ailleurs, dans les contes il y a deux camps généralement, les bons et les méchants en vis-à-vis :
Les méchants | Les gentils |
Ogre | Père aimant |
Marâtre | Mère aimante |
Sorcière | Fée |
Loup | Gentil chasseur |
Ainsi, nous connaissons déjà le dénouement puisque les contes finissent généralement bien, ce qui n’est pas forcément le cas dans la vie quotidienne. Pourtant, les vertus ne sont pas encensées dans les contes, pas plus qu’on ne condamne le mal car le récit démontre de lui-même. De plus, d’un conte à un autre, des situations se répètent.
Parmi les jeunes filles ayant perdu leurs mères, on compte Blanche-Neige également en butte à une marâtre opiniâtre qui veut sa mort pour effacer sa beauté, la Belle de « La belle et la bête » mais aussi « Peau d’âne ». Mais qui sont ces pères incapables de défendre leurs filles ? À moins qu’ils soient aveuglés par l’amour qu’ils portent à leur nouvelle compagne et dupés par elle ! Étrangement, la situation contraire ne se pose pas puisque les mères dans les contes n’abandonnent pas leurs enfants, excepté en duo avec le père dans « Le Petit Poucet » et « Hansel et Gretel », avec la circonstance atténuante de la pauvreté.
Qui sont ces petites filles sacrifiées sur l’autel patriarcal des pères irresponsables ? Du conte à la réalité, il y aurait beaucoup à dire ! Bref. Un psychiatre ne peut qu’attirer notre attention sur ces petites filles abandonnées ou mal aimées qui vont tout faire pour montrer des preuves d’amour à leur père en dépit des situations (cas flagrant de la Belle).
Cendrillon ou Cucendron peuvent signifier « vivre dans les cendres » et ce n’est pas sans nous évoquer le cas de Job (chap. 30, verset 19) qui se couvrit de cendres dans le récit biblique. La cendre est un signe de deuil et de douleur, tout en nous renvoyant à un sentiment d’humilité, mais aussi celui d’une position sociale inférieure ou d’une infamie. Le mot allemand utilisé par les frères Grimm est « Aschenputtel » traduit par Cendrillon et qui désigne une fille de cuisine, une souillon.
En plus des turpitudes occasionnées par sa marâtre, Cendrillon est en proie à la rivalité de ses deux filles, bien que la rivalité dans une fratrie soit quasiment naturelle dans toutes les familles. Cela s’explique par le fait que le petit enfant se sent au centre de l’univers n’aimant pas la venue de tout autre susceptible de lui ravir la place prépondérante. Ensuite, vient le temps où il va développer l’envie inconsciente de se débarrasser du parent dont il est jaloux (phase normale du comportement psychique). Nous savons que c’est une forme d’identification qui cherche à imiter le modèle social le plus répandu autour de l’enfant (généralement hétérosexuel et en couple). Nous n’entrerons pas plus avant dans ces considérations d’ordre psychologique et sociétal ainsi que dans les définitions des complexes d’Œdipe, Œdipe inversé ou complexe d’Électre. Le lecteur saura que ceci explique peut-être cela… notamment lorsqu’une petite fille dit « Quand je serai grande, je me marierai avec papa ». Les contes sont le reflet de nos structures psychiques, écrits d’ailleurs bien avant Messieurs Freud et Jung.
Nous avons déjà évoqué « La chatte des cendres », conte antérieur à « Cendrillon » dans lequel une jeune fille nommée Zezolla désire que sa gouvernante devienne sa belle-mère en place de la marâtre présente. Mal conseillée, Zezolla va tuer sa marâtre en lui brisant le cou en rabattant le couvercle d’un coffre. Hélas, une fois en place de nouvelle marâtre, l’ancienne gouvernante introduit ses six filles dans le foyer familial (6 + Zezolla = chiffre 7 qui revient souvent dans les contes).
Notons que le meurtre est rare dans les contes. Le psychiatre Bruno Bettelheim cite un autre conte italien « La male madre » (la mauvaise mère) où des enfants tuent leur mère. Cela renvoie à la situation symbolique du meurtre qui manifeste ce désir œdipien de faire disparaître le parent gênant. Mais le conte suit son chemin au-delà même du bien et du mal, et Zezolla, notre chatte des cendres, après moultes aventures, perdra une de ses « socques » à la suite de quoi un prince fera son possible pour retrouver la personne à qui elle appartient.
Selon la folkloriste anglaise Marian Roalfe Cox (1860-1916), il existerait 345 versions de Cendrillon (Cinderella en anglais) divisées en trois catégories, bien qu’en 1956, une nouvelle étude dirigée par l’ethnologue suédoise Anna Birgitta Rooth (1919-2000) démontre qu’il en existe bien plus :
- Cas d’une héroïne maltraitée et identifiée grâce à sa pantoufle ou son soulier.
- Cas de l’héroïne qui fuit un père dénaturé qui veut l’épouser.
- Cas de l’héroïne chassée par son propre père, parce qu’elle ne veut pas l’aimer ou l’épouser.
Les deux derniers cas ont l’effluve nauséabonde de l’inceste dirait- on de nos jours. En effet, cette dramatique situation est sous-jacente dans certains contes mais allusive et jamais « consommée », car il y a fort heureusement un événement, sorte de garde-fou, qui empêche la réalisation de l’acte. C’est en cela qu’un conte suggère l’interdit.
Ces études comparatives sont intéressantes, parce qu’elles éclairent les associations inconscientes faites dans la psychologie enfantine. L’innocence de l’héroïne fait écho aux petits lecteurs qui sont encore des êtres en constructions physiques et mentales. Néanmoins, on peut se demander si les adultes qui ont élaboré la trame des contes n’y ont pas caché leurs propres fantasmes ?
L’âtre ou le foyer symbolise la mère, le lieu où l’on se réchauffe le corps et le cœur. Cendrillon est devenue prématurément la « gardienne du foyer ». Les situations sont inversées puisque la marâtre (mère de substitution) ne joue pas son rôle de protectrice rassurante et aimante. Cendrillon est une petite fille obéissante et soumise qui semble accepter sa situation et faire même preuve de zèle (forme de culpabilité inconsciente ?). La Cendrillon des frères Grimm est plus active et capable d’initiatives que celle de Perrault, dont le symbolisme interne du conte est appauvri. Quant au dessin animé de Walt Disney, il a encore plus édulcoré et rendu bien mièvre ce conte. Ma sévérité ne m’empêche pas de savourer les prouesses techniques et l’esthétique chez Disney. À chacun ses niveaux de lecture ! Il est vrai que la version des frères Grimm punit les coupables et paraît plus cruelle. C’est pourtant cette version qui contient le plus de symboles.
- Version de Perrault : Cendrillon ou La Petite Pantoufle de Verre
« … Les noces ne furent pas plus tôt faites, que la belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur ; elle ne put souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la Maison : c’était elle qui nettoyait la vaisselle et les montées, qui frottait la chambre de Madame, et celles de Mesdemoiselles ses filles ; elle couchait tout au haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs étaient dans des chambres parquetées, où elles avaient des lits des plus à la mode, et des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu’à la tête. La pauvre fille souffrait tout avec patience, et n’osait s’en plaindre à son père qui l’aurait grondée, parce que sa femme le gouvernait entièrement. »
D’ores et déjà, la situation est sans ambiguïté, nous avons même l’explication de la non-intervention du père, à savoir que « sa femme le gouvernait entièrement », ce qui fait que Cendrillon ne se plaint pas. Cependant, Cendrillon a une marraine qui est une fée, à l’instar de la Belle au Bois dormant qui fut ainsi sauvée d’un sommeil éternel. La fée est le côté lumineux de notre force intérieure, elle est notre possible espérance, notre faculté à aller au-delà de soi. À partir de ce moment du conte, plusieurs éléments vont échafauder la possibilité enchanteresse de changer le cours d’un destin. Nous assistons grâce à la baguette magique de la fée à une série de transformations dignes de l’école de Poudlard (dans « Harry Potter ») :
- Une citrouille va être l’élément déclencheur de cette transformation : « Sa Marraine la creusa, et n’ayant laissé que l’écorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré ». Pourquoi enlever la chair de la citrouille et n’en garder que l’écorce ? L’écorce évoque la structure externe du futur carrosse, sa face visible, ce que le regard retient alors que l’interne a été creusé (il est l’esprit devenu invisible et qui se cache sous l’apparence). Minuit sonné, l’écorce se dissoudra à son tour dans la futilité du paraître.
- Six souris (toutes en vie, est- il précisé) changées chacune en un beau cheval, « ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d’un beau gris de souris pommelé ». Les souris sont des animaux chtoniens associés au monde souterrain (rapport à l’inconscient et à ce qui est sombre), et voici qu’elles sont élevées au rang de coursiers attelés au carrosse de Cendrillon faite princesse d’un soir.
- Un rat choisi pour sa barbiche qui « fut changé en un gros cocher, qui avait une des plus belles moustaches qu’on ait jamais vues ». Le rat est aussi un animal chtonien de mauvaise réputation, associé au vol et à l’avarice. Le voici cocher qui mène le carrosse.
- Six lézards, « pas plus tôt apportés que la Marraine les changea en six laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse avec leurs habits chamarrés, et qui s’y tenaient attachés, comme s’ils n’eussent fait autre chose toute leur vie ». Motif ornemental en Afrique noire, le lézard figure parmi les hiéroglyphes égyptiens et signifie la bienveillance.
À part, ces maigres moissons, reconnaissons que le conte de Charles Perrault ne brille pas par son symbolisme. Enfin voici « une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde » et non des pantoufles de « vair ». Le titre de Perrault est clair (c’est bien le cas de le dire), il s’agit bien de cette matière transparente et fragile digne des pieds graciles de Cendrillon. En fait, c’est non pas « la faute à Rousseau » comme dit la chanson, mais « la faute à Balzac » avec son roman « Sur Catherine de Médicis » où il fait dire à un pelletier : « On distinguait le grand et le menu vair. Ce mot, depuis cent ans, est si bien tombé en désuétude que, dans un nombre infini d’éditions de contes de Perrault, la célèbre pantoufle de Cendrillon, sans doute de menu vair, est présentée comme étant de verre. » Il n’en est rien, et l’écrivain Anatole France dira plus tard : « Je vous avais pourtant bien dit de vous défier du bon sens. Cendrillon avait des pantoufles non de fourrure, mais de verre, d’un verre transparent comme une glace de Saint-Gobain, comme l’eau de source et le cristal de roche. Ces pantoufles étaient fées ; on vous l’a dit, et cela seul lève toute difficulté. »
Étrangement, les pantoufles seront les seules à ne pas se transformer après minuit. Les pantoufles sont enchantées et ne perdent pas leur pouvoir. Elles retrouveront non pas chaussures à leurs pieds mais pieds à leurs chaussures !
Voici le dénouement d’un conte acidulé pour petite fille sage : « Alors ses deux sœurs la reconnurent pour la belle personne qu’elles avaient vue au Bal. Elles se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu’elles lui avaient fait souffrir. Cendrillon les releva, et leur dit, en les embrassant, qu’elle leur pardonnait de bon cœur, et qu’elle les priait de l’aimer bien toujours. On la mena chez le jeune Prince, parée comme elle l’était : il la trouva encore plus belle que jamais, et peu de jours après, il l’épousa. Cendrillon qui était aussi bonne que belle, fit loger ses deux sœurs au Palais, et les maria dès le jour même à deux grands Seigneurs de la Cour. » Tout le monde est pardonné. Terminé, il n’y a plus rien à voir.
- Version des Grimm : Cendrillon
Avec les frères Grimm, c’est une tout autre manière d’aborder ce conte qui commence ainsi : « Un homme riche avait une femme qui tomba malade ; et quand celle-ci sentit sa fin prochaine, elle appela à son chevet son unique fille et lui dit : « Chère enfant, reste bonne et pieuse, et le bon Dieu t’aidera toujours, et moi, du haut du ciel, je te regarderai et te protégerai. » Puis elle ferma les yeux et mourut. La fillette se rendit chaque jour sur la tombe de sa mère, pleura et resta bonne et pieuse. L’hiver venu, la neige recouvrit la tombe d’un tapis blanc. Mais au printemps, quand le soleil l’eut fait fondre, l’homme prit une autre femme. » Le ton est plus solennel dès le début.
La suite nous fait entrer peu à peu dans une dimension plus symbolique : « Il arriva que le père voulût un jour se rendre à la foire ; il demanda à ses deux belles-filles ce qu’il devait leur rapporter. « De beaux habits, » dit l’une. « Des perles et des pierres précieuses, » dit la seconde. « Et toi, Cendrillon, » demanda-t-il, « que veux-tu ?» - « Père, le premier rameau qui heurtera votre chapeau sur le chemin du retour, cueillez-le pour moi. » Il acheta donc de beaux habits, des perles et des pierres précieuses pour les deux sœurs, et, sur le chemin du retour, en traversant à cheval un vert bosquet, une branche de noisetier l’effleura et fit tomber son chapeau. Alors il cueillit le rameau et l’emporta. »
Voici un père aimant et juste qui respecte la volonté de chacune des jeunes filles. Les deux belles-filles sont dans l’Avoir et le Paraître, alors que Cendrillon se contente d’une branche de noisetier. Le noisetier est aussi appelé coudrier et c’est avec ce bois que les sourciers font leur bâton, bien que le bois de noisetier constituerait dit-on le manche des balais de sorcières. Cendrillon « alla sur la tombe de sa mère et y planta le rameau, en pleurant si fort que les larmes tombèrent dessus et l’arrosèrent ».
La dimension poétique est également plus émouvante dans cette version. Un petit oiseau blanc perché sur le noisetier devient l’ami de Cendrillon et exauce ses vœux. Vient une fête de trois jours donnée par le roi pour que son fils trouve une fiancée et Cendrillon aimerait y assister mais la cruauté des demi-sœurs va être à l’origine d’une sorte d’épreuve.
- L’épreuve des lentilles réitérée deux fois (et qui rappelle l’épisode biblique du plat de lentilles entre Jacob et son frère Ésaü)
- « J’ai renversé un plat de lentilles dans les cendres ; si dans deux heures tu les as de nouveau triées, tu pourras venir avec nous.»
- « Si tu peux, en une heure de temps, me trier des cendres deux grands plats de lentilles, tu nous accompagneras. »
Des oiseaux aident Cendrillon, mais malgré cela les sœurs refusent qu’elle les accompagne.
- La formule magique réitérée trois fois avant d’aller au bal :
« Lorsqu’il n’y eut plus personne à la maison, Cendrillon alla sous le noisetier planté sur la tombe de sa mère et cria :
« Petit arbre, ébranle-toi, agite-toi,
Jette de l’or et de l’argent sur moi. »
« Alors l’oiseau lui lança une robe d’or et d’argent, ainsi que des pantoufles brodées de soie et d’argent. »
- Le premier soir du bal, elle sauta dans le pigeonnier pour échapper au fils du roi puis courut jusqu’au noisetier. Le prince s’adressa au père de Cendrillon pour la retrouver mais ce dernier eut beau prendre une hache et une pioche pour casser le pigeonnier, ils ne la trouvèrent pas.
- Le second soir du bal, elle sauta dans un poirier derrière le jardin puis courut jusqu’au noisetier. Le prince revint auprès du père de Cendrillon mais ils ne la trouvèrent pas à nouveau.
- Le troisième soir du bal, elle s’en alla vite mais le prince « avait fait enduire de poix tout l’escalier, de sorte qu’en sautant pour descendre, la jeune fille y avait laissé sa pantoufle gauche engluée. »
- Les pieds mutilés des deux sœurs pour entrer dans la pantoufle :
- « Coupe-toi ce doigt ; quand tu seras reine, tu n’auras plus besoin d’aller à pied. »
- « Coupe-toi un bout de talon ; quand tu seras reine, tu n’auras plus besoin d’aller à pied. »
Mais à chaque fois comme un leitmotiv, deux pigeons répètent :
« Roucou-cou, roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang il y a :
Bien trop petit était le soulier ;
Encore au logis la vraie fiancée. »
Lorsque le prince enfile la pantoufle à Cendrillon et la reconnait, les deux pigeons blancs sont là à nouveau et chantent :
« Roucou-cou, Roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang plus ne verra
Point trop petit était le soulier,
Chez lui, il mène la vraie fiancée. »
La version des frères Grimm est non seulement plus riche en symboles mais plus pédagogique. La méchanceté qui serait pardonnée de fait ne permet pas à l’auteur de la faute de conscientiser la gravité de son acte, et sans contrainte, sans jugement, il peut ainsi à l’infini recommencer ses méfaits puisqu’il n’a jamais de frein. C’est ce qui se passe en cas de justice laxiste qui ne punit pas ou agit à retardement faute de moyens mis en œuvre. L’adversité se met en route dès l’enfance, et l’enfant harceleur ne peut prendre conscience du mal qu’il engendre que si on lui oppose une autorité et des limites. Quant à l’enfant harcelé, il a besoin de savoir que son cas est pris au sérieux et non banalisé. C’est pour cela que la version de Cendrillon non GRIMMée que celle en PERRAULT raison (péroraison) dudit Perrault, nous interpelle.
La fin du conte paraît bien cruelle. Les frères Grimm de confession réformée avaient peut-être une vision différente du pardon prôné par Perrault, par ailleurs auteur de textes religieux : « Le jour où l’on devait célébrer son mariage avec le fils du roi, ses deux perfides sœurs s’y rendirent avec l’intention de s’insinuer dans ses bonnes grâces et d’avoir part à son bonheur. Tandis que les fiancés se rendaient à l’église, l’aînée marchait à leur droite et la cadette à leur gauche : alors les pigeons crevèrent un œil à chacune d’elles. Puis, quand ils s’en revinrent de l’église, l’aînée marchait à leur gauche et la cadette à leur droite : alors les pigeons crevèrent l’autre œil à chacune d’elles. Et c’est ainsi qu’en punition de leur méchanceté et de leur perfidie, elles furent aveugles pour le restant de leurs jours. »
Ce sont les oiseaux qui se font les instruments de la justice divine. Les cœurs fermés à la compassion sont frappés de cécité. Il me revient l’histoire inversée de Tobie dont le père devenu aveugle (œuvre au noir) retrouve la vue (œuvre au rouge) grâce au fiel d’un « poisson énorme ». Ici c’est le fiel de la méchanceté qui aura déterminé cette conséquence. Avec cette dernière version, l’enfant mal aimé ou maltraité, le ou la Cendrillon d’un moment pourra y puiser de l’espoir et savoir qu’il existe en ce monde des rencontres avec l’amour au bout d’un chemin, car la lumière couve toujours sous les cendres !
Bibliographie :
Belmont et E. Lemirre, Sous la cendre - Figures de Cendrillon – José Corti.
Leclere Adhémard, Deux contes cambodgiens - La sandale d’or et Prâng et Yiâng – La découvrance.