
La Qabbale enseigne qu’au commencement, « Dieu a désiré voir Dieu » et que par un acte libre et créateur il s’est retiré d’un Tout absolu (‘aïN SoPH), pour générer un vide en se contractant. Cet acte est appelé TSiMTSouM (contraction). Autour du vide est l’’aïN SoPH ‘oR (lumière sans fin) d’où émane un rayon de lumière KaV (ligne, cordeau, rayon), qui va s’étendre graduellement à dix niveaux nommés SePHiRoTH (réceptacles). Les 22 lettres qui composent l’alphabet hébraïque définissent 22 sentiers sur l’Arbre de Vie pour aller d’une SePHiRaH à l’autre. Le langage et l’écriture sont définis par l’art de combiner ces lettres afin d’en faire des mots et construire des phrases qui permettent l’expression de la parole.
De même, la musique est l’art de combiner des sons afin de produire une impression sonore. Or, la parole et le son sont issus du Verbe. Ainsi, musique et langage sont étroitement liés et s’épousent dans l’art de poétiser. L’alphabet hébreu comporte 22 lettres (des consonnes uniquement) : 21 correspondent à 7 tons échelonnés en 3 octaves et la 22e et dernière lettre THaV est reliée aux Mondes supérieurs, et par extension au Messie.
L’échelle musicale est comme l’Échelle de Jacob et nous permet de communiquer avec des plans vibratoires supérieurs. La musique possède un pouvoir mystique indéniable. Les grands compositeurs inspirés sont en communion plus ou moins consciente avec les plans cosmiques les plus subtils. La musique est si puissante, qu’il arrive, comme les trompettes de Jéricho, qu’elle ait le pouvoir de détruire, tout comme la voix qui peut briser le cristal à une certaine fréquence vibratoire. L’art musical exerce sur l’homme une fascination et fait l’objet d’une sacralisation dans toutes les cultures.
Les trois octaves correspondent plus spécifiquement aux trois lettres mères ‘aLePH / MeM / SHiN, qui symbolisent pour les qabbalistes des lois et des principes majeurs en relation avec l’univers, la nature et l’homme. Ils considèrent qu’elles forment une trinité ou triade dans laquelle réside la clé mystique qui permet de comprendre le mystère de la Création. Par ailleurs, des correspondances précises leur sont attribuées : א correspond à l’automne, à la poitrine, à l’humidité et à l’Air ; מ correspond à l’hiver, à l’abdomen, au froid et à l’Eau ; ש correspond à l’été, à la tête, à la chaleur et au Feu.
Appliqué à la musique, nous pouvons considérer que nous avons une octave ‘aLePH, une octave MeM et une octave SHiN, et que dans la construction même de la musique sont inclus les éléments ou principes Air, Eau et Feu. Ces trois lettres sont situées au niveau des trois SePHiRoTH supérieures : KeTHeR (couronne), HoKMaH (sagesse) et BiNaH (discernement). Notons qu’il existe trois figures de clés (signes placés au début d’une portée pour fixer le nom des notes en relation avec leur hauteur de son) : clé de sol, clé d’ut et clé de fa ; ainsi que trois altérations : dièse, bémol et bécarre.
Les sept tons correspondent aux sept lettres dites doubles qui sont associées aux sept MiDoTH (mesures) ou sept SePHiRoTH inférieures : HeSSeD (bonté) également nommée GuéDouLaH ; GuéVouRaH (rigueur) également nommée DiN (jugement) ; TiPHeReTH (beauté) ; NeTSaH (victoire) ; HoD (gloire) ; YeSSoD (fondation) ; et MaLKouTH (royaume).
Le nombre 7 est le diviseur idéal de ce qui se rapporte au monde spirituel. Voici ces sept lettres doubles : BeTH, GHiMeL, DaLeTH, KaPH, Pé, ReSH, THaV. En musique, il y a également sept figures de notes : la ronde, la blanche, la noire, la croche, la double-croche, la triple-croche et la quadruple croche. Il y a également sept figures de silence : pause, demi-pause, soupir, demi-soupir, quart de soupir, huitième de soupir et seizième de soupir.
On peut retrouver dix sortes de mélodies bibliques : ‘aSHRé (heureux) ; BeRaSHaH ; LaMeNaTSeaH ; MaSKiL ; MiZMoR (cantique, psaume) ; HoDaYaH ; SHiR (chant) ; NiGouN (mélodie) ; THéPHiLaH (prière) ; et HaLeLouYaH (« Dieu soit loué »).
Ce nombre 10 symbolise la perfection, ainsi que les Sages l’ont enseigné : « Le Monde a été créé par dix Paroles » (les dix Commandements). La Qabbale nous enseigne que l’âme NePHeSH est constituée de dix parties. Le livre des Psaumes a été écrit avec ces dix mélodies. Les SePHiRoTH représentent les dix attributs divins et forment l’Arbre de Vie. Pour conceptualiser le processus de la Création, les qabbalistes l’ont schématisé par l’Arbre de Vie ou Arbre séphirotique. Ainsi, à partir du Fiat Lux (Que la lumière soit), la Lumière envahit la Création au fur et à mesure qu’elle pénètre dans la densité à travers les dix réceptacles que sont les SePHiRoTH. De même, les qabbalistes disent que la vibration intérieure de l’homme correspond à dix rythmes ou dix pouls. En fait, les dix SePHiRoTH sont à la fois des capteurs et des transformateurs d’énergie. On retrouve un déploiement identique d’énergie à travers les lettres hébraïques et leurs nombres correspondants. Ainsi, il y a dix psaumes de David (à lire en hébreu dans l’ordre suivant : 16, 32, 41, 42, 59, 77, 90, 105, 137, 150), qui sont construits sur les dix pouls de l’homme (et joués sur une harpe à dix cordes). Rabbi Nahman les qualifiait de « psaumes de réharmonisation générale de toutes les vibrations vitales ». On trouve ainsi d’autres combinaisons de lecture des psaumes utilisées par les qabbalistes. On conçoit donc la richesse énergétique de ses psaumes. Les premiers qabbalistes parlaient du « royaume sacré du corps » et pour cela ils ont développé des techniques de « paix intérieure » avec postures, respirations profondes et mots répétitifs, techniques élaborées que l’on trouve dans d’autres cultures sous d’autres formes, telles que le yoga et les mantras. La Qabbale est donc une gnose par laquelle l’homme recherche en son être intérieur la part de Divin.
On peut aussi faire le parallèle entre les douze lettres simples (Hé, VaV, ZaïN, HeTH, TeTH, YoD, LaMeD, NouN, SaMeKH, haïN, TSaDé, QoPH) et les douze tribus d’Israël ; 12 étant le symbole de l’univers et de la mesure du son en terme de musique sacrée. Ainsi, ce nombre représente la manifestation harmonique dans l’univers. En musique, ce sont douze sons qui forment l’échelle chromatique, celle-ci se composant des sept degrés de l’échelle diatonique additionnés de cinq notes intermédiaires partageant chaque ton en deux demi-tons au moyen d’altérations. À titre indicatif, le musicien Corelli a la particularité d’avoir organisé l’ensemble de ses œuvres avec le nombre 12.
La musique dans la Torah
La toute première référence à la musique dans la THoRaH se trouve dans la Genèse 4, verset 21, qui parle de Jubal, frère de Ada (première femme de Lamek, lui-même arrière-petit-fils de Caïn) : « Celui-ci fut la souche de ceux qui manient la harpe et la lyre. » Ensuite, durant l’époque nomade, chants et danses de guerre, ou chants populaires avec des thèmes plus ou moins en rapport avec l’agriculture, constituent ce que l’on qualifi e aujourd’hui de thèmes folkloriques. On évoque David jouant de la lyre ou dansant autour de l’Arche sainte.
Les premiers instruments utilisés étaient la HaTSoRaH (trompette), le THoPH (tambour) et le SHoPHaR (corne de bélier). Ensuite, viennent des instruments à corde comme le KiNoR (lyre) et le NeVeL (harpe). L’un de ces instruments à nul autre pareil va connaître un destin particulier : le SHoPHaR, dont le son rude et grave va causer l’effondrement des murailles de Jéricho. En effet, le SHoPHaR va devenir le seul instrument autorisé dans le culte synagogal. On lui accorde un pouvoir magique et des vertus mystiques. Aujourd’hui, on l’entend en particulier lors de YoM KiPPouR (Jour du Pardon).
Continuons notre voyage musical en plongeant au cœur d’un rouleau de la THoRaH, en nous immergeant dans le texte manuscrit et dans cet océan de lettres pour naviguer vers le Chant des Chants, le SHiR HaSHiRiM (le Cantique des Cantiques). Là, le paysage textuel change, on trouve des colonnes alignées, une graphie plus épurée, et il en est de même avec le Cantique de Déborah, des Livres des Juges ou les 150 psaumes de David, car avec ces textes, nous pénétrons dans des graphies qui indiquent le poème, comme si l’esthétique textuelle annonçait la beauté littéraire. Or, la poésie est musique des mots et trouve sa théophanie par le chant mystique. Le premier instrument de musique est la voix humaine. Nous pouvons ainsi voyager en re-poétisant la Bible pour rendre aux textes le souffl e premier qui plane sur la surface des versets et des psaumes. L’association du texte et de la voix vient soulever des ondes émotionnelles et par leurs vibrations donner une âme aux mots.
On dit que tous les textes de la THoRaH sont « feu noir sur feu blanc », les lettres deviennent les notes, les espaces équivalant à neuf lettres invisibles sont les silences, les signes et accents rythment l’intensité et la modulation de la voix. Le chant prend vie par l’intermédiaire de la voix en travaillant sur le souffle, les jeux de rythmes et d’allitérations, les inflexions et ondulations des mots sur une mélodie inspirée, parfois improvisée.
Nous avons vu qu’il existe dix sortes de mélodies bibliques mais les textes du canon liturgique lus à la synagogue font l’objet d’une cantillation spécifique. Le HaZaNe, (maître-cantillateur), utilise un répertoire de motifs musicaux traditionnels et stéréotypés, que l’on appelle des tropes. Le répertoire de tropes varie selon les rites (ashkénaze, sépharade), ou selon les communautés juives locales. Le texte massorétique de la Bible utilise pour ce faire des accents, les TéaMiM, afi n de signaler ces tropes.
La grammaire hébraïque nomme TehaMéi HamiQRa’ ces accents qui s’écrivent, comme les voyelles, en marge du texte consonantique. Le problème dans un texte est de bien faire la distinction entre les signes des voyelles et les signes de cantillations proprement dits.
Lorsque les voix s’associent et fraternisent dans l’articulation poétique du langage, elles transmutent les spéculations théologiques vers une communion collective où le souffle poétique sans dogmatisme s’ouvre au Dieu de tous les cœurs.
La musique des synagogues
En fait, l’orgue dans les synagogues est prohibé par la tradition qui ne reconnaît que la voix digne de faire résonner la prière. C’est au début du XIXe siècle, à Seesen, en Saxe, qu’un mouvement réformateur du Judaïsme introduit cet instrument réputé « chrétien » dans les synagogues dites « consistoriales », par l’intermédiaire de Israël Jacobson (1768-1828), qui crée en 1810 en Westphalie la première synagogue du Judaïsme réformé, dans laquelle il introduit l’orgue et le sermon en allemand au lieu de l’hébreu. Dans les années qui suivent, plusieurs synodes de rabbins libéraux vont signer l’acte de naissance du Judaïsme réformé allemand et ainsi vont naître les aspects suivants :
– Introduction de la musique et des chants mixtes ;
– Langue du pays pour les sermons et prières ;
– Suppression des références à Jérusalem, Sion ou ‘eReTS Israël (abandonné de nos jours) ;
– Le terme « synagogue » est remplacé par celui de « temple » (également abandonné, excepté chez une minorité de juifs messianistes).
En France, le mouvement réformateur va prendre son essor avec la création des Consistoires, sous l’égide de Napoléon, et l’orgue va s’imposer comme le symbole de cette transformation et de la reconnaissance des juifs comme citoyens à part entière.
La musique est abstraction, elle se transporte d’un lieu à un autre et voyage comme le vent et le son de la flûte des bergers. Si le chant accompagne les rituels, elle peut aussi accompagner des moments de vie, mais elle garde toujours un regard vers la spiritualité, comme certains chants au thème musical oriental qui tirent leur inspiration des textes de la Bible. On dit que le premier musicologue juif connu s’appelait Ovadia, qu’il séjournait dans un monastère et se convertit au Judaïsme. Mais bien avant, il y eut une école de musique dans le Temple de Salomon. Mais qui se souvient d’Ovadia et même du Temple dont seul subsiste aujourd’hui un soubassement, le KoTeL surnommé « le Mur des Lamentations ». Mais au-delà du KoTeL, au-delà de tous les murs, qu’ils soient de vénération ou de séparation, il y a des moissons qu’on engrange, des fruits que l’on cueille et les roses dont se parent les jeunes filles. Quand les chants et la musique expriment la Vie, toutes les jeunes filles deviennent les fiancées du Cantique des Cantiques : « Qu’il me prodigue les baisers de sa bouche… Car tes caresses sont plus délicieuses que le vin. Tes parfums sont suaves à respirer ; une huile aromatique qui se répand, tel est ton nom. C’est pourquoi les jeunes filles sont éprises de toi » (Shir Hashirim).
« Viens mon bien-aimé, à la rencontre de la fi ancée, allons accueillir le Shabbath. Ce chant que j’entonnerai tout à l’heure te dira l’impatience qui a été la mienne pendant cette longue semaine où je t’ai attendu. Tous ces jours qui se traînent, qui m’éloignent et me rapprochent de toi. Tous ces jours de grisailles pour mon cœur qui a soif du breuvage que tu m’apportes… » (Rituel préparatoire au Shabbath).
Ainsi, tandis que chaque vendredi soir à la tombée de la nuit, la femme allume les deux bougies du Shabbath, que le père bénit ses enfants et rompt le pain tressé…, il est dit qu’un supplément d’âme est donné à chacun. Alors les prières et les chants s’élèvent : « Venez en paix anges du Shabbath de la part du roi des rois, le Saint béni soit-Il ! »
Exilés de par le monde, les Juifs vont continuer la ronde des prières en yiddish dans les pays de l’Est, en ladino en Espagne, en crypto-arabe dans les pays du Maghreb, en judéo-araméen au Kurdistan…, leur culture va se mêler aux cultures d’accueil et former une mosaïque de musique et de chants diversifiés. À la flûte du berger nomade répond le violon du juif errant sur les chemins de l’Est. Dans les pays de l’Est, les Juifs ont inventé au fi l du temps une langue à eux : le yiddish, une langue germanique dérivée du haut allemand, avec un apport de vocabulaire hébreu et slave. Cette langue vernaculaire est dévolue aux communautés juives d’Europe centrale et orientale (les ashkénazes) depuis le Moyen Âge. Le yiddish est également appelé judéo-allemand. Les chants juifs ont toujours cette capacité de passer de la gaieté à la nostalgie d’une terre perdue. Parfois, l’accordéon laisse place à la flûte, et le souffle de Canaan revient hanter les Juifs de l’Est.
Pendant ce temps dans les pays du pourtour méditerranéen (Espagne, Portugal, Grèce, Maroc, Algérie, Tunisie), leurs frères juifs sépharades parlent le ladino. À l’origine, le ladino est une langue créée par les rabbins espagnols pour traduire et enseigner les textes sacrés hébreux. Les rabbins ont veillé à ce que la langue ait une syntaxe hébraïque, mais un vocabulaire roman, au contraire du judéo-espagnol qui a lui une syntaxe romane. En effet, une différence est faite entre le ladino, comme langue sacrée et écrite, et le judéo-espagnol (que l’on appelle aussi djudezmo), comme langue parlée. Les juifs arrivèrent en Espagne en 711, en même temps que la conquête faite par les musulmans. Ils vécurent en harmonie avec ces derniers pendant 800 ans jusqu’à la reconquête chrétienne de 1492. La musique et la culture ladino voyagèrent dans différents pays du Moyen-Orient, en Afrique du Nord et jusque dans les Balkans. On comprend aisément qu’il y eut des influences musicales dans chaque pays…
Mais la prière et les litanies sont toujours présentes dans le cœur des exilés et quelle que soit leur imprégnation culturelle, le jour du Shabbath, l’hébreu reste la langue sacrée qui, par-delà les contrées, s’élève vers YoD-Hé-VaV-Hé.
En Italie, très curieusement, des musiciens non juifs s’essaient à la musique judéo-baroque, alors que dans les autres pays d’Europe les Juifs sont limités à la fois dans leur espace vital et leur droits civiques les plus élémentaires. À la Renaissance, la communauté juive semblait plus libre, mais n’oublions pas néanmoins que le mot « ghetto » a été inventé dans ce pays, à Venise notamment. Salomone Rossi (1565–1628), issu d’une famille de Mantoue, fut un illustre musicien, au point que le prince Gonzague le dispensa de porter l’étoile jaune sur ses habits. L’une de ses œuvres la plus célèbre a été publiée à Venise en 1622. Les SHoMRiM HaBoKeR (guetteurs de l’aurore) constituaient une confrérie au XVIIe siècle implantée dans tout le bassin méditerranéen qui tenait des veillées à l’aube et commandait parfois des musiques.
Dans le domaine de la musique classique, la France peut s’enorgueillir d’avoir accueilli Jacques Offenbach, célèbre surtout pour ses opérettes. Il naquit à Cologne (Allemagne), où son père, Isaac Judas Eberst (1779-1850), fut cantor de la synagogue. Le jeune homme montrant des dons pour la musique et le violoncelle, son père lui fi t poursuivre ses études musicales à Paris dès 1833, parce que c’était la seule ville dans laquelle un artiste juif pouvait faire carrière à cette époque. Mais beaucoup ignorent qu’Offenbach écrivit avec son frère des chants pour synagogue.
La musique des ghettos juifs
D’autres grands noms de la musique classique sont issus de l’intelligentsia juive, mais la Deuxième Guerre mondiale et la Shoah verront périr de nombreux musiciens. Dans une étude intitulée « Les musiques et la Shoah », Joseph J. Lévy a écrit : « Les ghettos de Varsovie, de Vilna et de Lodz avaient ainsi un orchestre symphonique, et celui de Varsovie fut interdit en 1942 pour avoir désobéi à l’ordre de ne pas jouer de musique de compositeurs allemands. Des concerts de musique de chambre et de chorales se tenaient dans plusieurs de ces ghettos, mais c’est dans le camp ghetto de Térezin (Therensienstadt) situé en Tchécoslovaquie que l’expression musicale était la plus élaborée. Présenté par les nazis comme un ghetto modèle afin de convaincre le monde extérieur, en particulier la Croix-Rouge, que les déportés, provenant de plusieurs pays d’Europe, étaient traités avec certains égards, ce camp incluait une proportion importante d’écrivains, d’artistes et de musiciens qui continuèrent leurs activités de création, malgré les dures conditions. »
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la musique fut toujours au cœur de la vie juive. Impalpable, abstraite, elle les suivit tout au long de leur diaspora, et jusque dans l’horreur, elle fut leur seule amie fidèle. Joseph Lévy écrit encore : « …les hymnes des partisans parmi lesquels l’un des plus connus est celui de Hirsch Glick qui l’écrivit dans le ghetto de Vilna au moment de l’insurrection du ghetto de Varsovie en 1943. Repris dans plusieurs langues, chanté par les brigades de partisans européens et les déportés, son refrain insiste sur la revendication de la liberté :
Ne dis jamais que tu vas de ton dernier pas,
Quand les jours bleus sont écrasés sous un ciel bas,
L’heure viendra, que nous avons tant espérée,
Frappant le sol, nos pas diront : Nous sommes là ! »
Un livre autobiographique, Le Pianiste de Władysław Szpilman, décrit cette époque douloureuse. Le cinéaste Roman Polanski (né lui-même d’un père juif polonais) en fera un fi lm sous le même titre. Puis vient le temps de la reconstruction et de la renaissance, comme après la destruction du Temple, comme après Babylone, comme une histoire trop souvent recommencée… À nouveau, les communautés juives vont émigrer aux États-Unis puis en Israël, et la musique va connaître un nouveau souffle…
La musique du Nouveau Monde
Aux États-Unis, de nombreux juifs vont être à l’origine du jazz avec leurs frères noirs en souffrance, et les nouveaux héros seront musiciens ou chanteurs : Benny Goldmann, Al Jolson, Sophie Tucker (née Sonia Kalish en Russie), etc. Mais une chanson écrite par Sholom Secunda (1894-1974) symbolisera plus que tout cette intégration : Bei Mir Bist Dy Sheym (Pour moi tu es belle). Un compositeur, né Jacob Gershowitz, plus connu sous le nom de Gershwin, va créer le jazz symphonique. Mais les chants yiddish connaissent une nouvelle jeunesse empreinte de nostalgie. Bientôt, une tradition musicale des juifs ashkénazes va s’imposer dans le nouveau pays d’accueil des juifs d’Europe : le Klezmer, ce mot venant de l’association des mots « klei » et « zemer », « instrument de chant ». À l’origine le mot « klezmer » (pluriel : klezmorim) désignait donc les instruments. Aujourd’hui cette musique, qui fait pleurer ou rire les instruments, a pris toutes ses lettres de noblesse dans le paysage de la musique juive mondiale.
Des cantillations bibliques au souffle qui donne vie à l’instrument, la prière se conjugue de la parole à la musique. À des milliers de kilomètres de New-York, d’autres juifs s’installent en Israël, et redécouvrent des frères oubliés, les yéménites et les falachas… Les musiques se croisent et s’enrichissent mutuellement. De vieux chants qui ont fait le tour du monde se déclinent en plusieurs langues comme le célèbre fel Shara. À l’origine, cette mélodie viendrait d’Espagne en tant que prière qabbalistique pour le SHaBBaTH. Des historiens de la musique disent que les paroles auraient été écrites au XVIe ou XVIIe siècle sur une musique existante, avec un mélange de plusieurs dialectes juifs, tels que le volgare (judéo-italien), le ladino (judéo-espagnol), le xuadit (judéo-français) mais aussi avec un peu d’anglais et même du berbère. Toujours est-il qu’après l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, ce PiYouTh (poème) va voyager dans toute l’Europe, en commençant par le pourtour méditerranéen. Ainsi chez les Turcs il prendra le nom de Uskundar et chez les Grecs celui de Apo Kseno Topo. On retrouve même la mélodie pour chanter des psaumes. En bref, nous avons là un chant à vocation mondiale qui franchit les frontières puisqu’on le retrouve en Bosnie et en Serbie, jusqu’en Russie et en Allemagne, puis avec des versions en arabe et en bulgare.
Après ce voyage au fil du temps, on voit que la musique a toujours été un ferment de vitalité même aux moments les plus terribles de l’histoire juive. La musique juive a la fluidité de l’esprit lorsqu’il se fait inventif, imaginatif, tout en restant fidèle à sa vocation première de transmettre aux hommes leur vocation spirituelle. L’esprit de la Qabbale est omniprésent dans cette quête commencée avec la Parole divine et les Dix Commandements au Sinaï. Le qabbaliste est un chercheur qui fait germer des questions incessantes au cœur de sa propre humanité. Le chant, la poésie et la musique sont des chemins méditatifs qui expriment les méandres des émotions humaines.
L’étude de la Qabbale permet donc d’imprimer dans la conscience de l’homme certaines vérités éternelles à l’aide des lettres et à comprendre que l’humanité n’est pas figée dans un fatalisme où l’homme attendrait passivement les événements du destin et la venue d’un monde meilleur. La Qabbale, en éveillant notre conscience, fait de nous des êtres d’action spirituelle, capable d’agir plus intelligemment dans les affaires du monde par nos efforts de coopération avec les « projets » divins. Lorsque le psalmiste chantait : « Les cieux révèlent la gloire de Dieu et le firmament montre Son ouvrage », il montrait par-là que partout et en toutes ses parties, l’univers même est un symbole divin. L’exil des Juifs symbolise l’exil spirituel de tout homme, assujetti à la matière sur une planète perdue dans l’espace infini. L’étranger ou l’exilé a la nostalgie d’une terre, de même tout homme a la nostalgie de son état adamique. La Qabbale permet de mettre de l’ordre dans nos questionnements et de les orienter vers une existence plus harmonieuse.
Et la musique… Elle nous accompagne sur notre plan terrestre et nous aide à appréhender cette harmonie en captant par l’inspiration la musique des sphères dans l’émanation de son chant sidéral !
Vingt-deux lettres fondatrices
Gravées dans la voix,
Taillées dans le souffle,
Fixées dans la bouche.
Extrait de la Revue Rose-Croix n° 269 – printemps 2019 – par Josselyne Chourry Conférencière de l’Université Rose-Croix Internationale, section Traditions et Philosophies